LES OUBLIÉS D’HIER, LES DÉMUNIS D’AUJOURD’HUI!
MÉMOIRE DU
COMITÉ DES ORPHELINS ET ORPHELINES INSTITUTIONALISÉS DE DUPLESSIS
PRÉSENTÉ
À L’OCCASION DU SYNODE DE L’ÉGLISE DE MONTRÉAL
LE 16 MAI, À PIERREFONDS
RÉDACTION : EUGENE BAZINET
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TABLE DES MATIÈRES
Dédicace Introduction J’ai honte de dire d’où je viens Ma souffrance toujours est vive et actuelle Le mal du silence Le pouvoir de l’argent contre le pouvoir de la pauvreté Société? Connais pas! L’absence d’autonomie Où est notre dignité humaine? Violence Agressions sexuelles L’existence du COOID L’Église doit se rapprocher
- A toutes celles et ceux, orphelines et orphelins, ayant vécu dans un encadrement institutionnel privés d’une éducation adéquate et recevant un certificat «deshonorifique» de déficience de débilité ou d’arriération mentale;
- «…. à tous ceux et toutes celles qui ont perdu l’innocence de leur enfance au coeur du drame de l’agression sexuelle et qui ont eu peine à retrouver un certain équilibre affectif et sexuel. Merci. Votre geste, malgré sa difficulté, aura été le point de départ d’une prise de conscience collective qui nous conduira à des changements dans le mode de relation que nous voulons avoir avec des personnes maltraitées.» l
1 · (DE LA SOUFFRANCE À L’ESPÉRANCE, p. 5 Rapport du comité AD HOC de la Conférence des évêques catholiques du Canada)
Dans le cadre qui est le nôtre, l’orphelin ou l’orpheline est: toute personne mineure ayant été abandonnée par ses parents biologiques pour des raisons sociale, politique ou religieuse; ou alors pour des motifs de décès ou de pauvreté. Généralement, ces enfants étaient placés, entre les années 30 et 70, dans des crèches, dans des orphelinats, dans des écoles d’industrie et, malheureusement, dans des institutions psychiatriques.
Pour d’autres, peu nombreux, plus chanceux que la majorité des orphelines et orphelins, à la sortie de l’institution, ont été placés dans des orphelinats ou famille où ils ont pu recommencer leurs études primaires, les poursuivre jusqu’au secondaire et dans certains cas, ils ont complété des études universitaires. Ces gens sont reconnaissants face à ceux qui ont crée un climat favorable à l’apprentissage académique. mais ceci n’empêche pas de reconnaître qu’il y a eu des situations flagrantes d’injustice.
Enfin, avec le diagnostique de déficience, de débilité ou d’arriération mentale, il y a de quoi d’être gêné de parler de son enfance. Nos consoeurs et confrères d’institutions ont eu beaucoup de courage à exprimer ouvertement leurs souffrances.
Selon une enquête que nous sommes en train d’effectuer auprès de nos membre, 46% vivent des prestations de bien-être social ou de chômage; l’enquête n’est pas encore terminée. Donc on peut s’attendre à ce que le pourcentage oscille aux alentours de 60% et plus.
Les souffrances non réparées sont encore très présentes dans l’esprit d’un bon nombre d’orphelins et orphelines. Ensemble, nous pouvons trouver des remèdes, et non des médicaments, à cicatriser ces blessures qui sont encore très profondes et vives.
Le côté judiciaire ne nous a pas été favorable, pour le moment, mais nous réclamons toujours que justice soit faite. Mais il a été l’élément qui a permis aux orphelines et orphelins d’être entendus, d’exprimer leurs souffrances. Au milieu des années 60, des orphelins ont décrié les événements malheureux qu’ils ont vécus. Ils ont tenté de se faire entendre mais sans succès. Depuis, de nombreuses émissions de télévision, Parler pour parler, Droit de parole, Le Point, Le Match de la vie, Point médias, etc, des orphelines et orphelins ont décrit le sort qu’il leur était réservé. De plus en plus, la population est mieux informée. C’est ainsi, qu’en janvier 1995, la maison de sondage SOM nous a appris que 54% des répondants étaient favorables à une forme d’indemnisation contre 29%.
Or, plusieurs d’entre nous ont vainement tenté de se faire entendre car on les a marginalisés, voire parfois ridiculisés. Il a fallu que ces gens se regroupent pour que leur histoire soit quelque peu entendue. Ailleurs, dans les autres provinces canadiennes, de telles dénonciations ont pourtant permis, contrairement au Québec, de briser le silence. La télésérie Les garçons de Saint-Vincent», très actuelle pour nous, en est un très bel exemple. De notre côté, que faudrait-il faire pour que l’Église de Montréal nous entende? Quand va-t-Elle considérer nos doléances comme vérédiques ?
Bien sûr, l’Église de Montréal se sent mal à l’aise devant les dénonciations des orphelins qui compromettent sa «bonne» réputation. Son image, il est vrai, s’en trouve quelque peu entachée. L’Église est pourtant consciente des effets néfastes de son silence:
- Trop souvent, malheureusement, la crainte du scandale continue d’influencer nos réactions instinctives et nous fait protéger l’agresseur et une certaine image de l’Église ou de l’institution que nous représentons, plutôt que les enfants, impuissants à se défendre dans un duel aussi inégal.1
Cette inégalité n’est pas que morale ou intellectuelle, elles est aussi financière. On le sait, les communautés religieuses, tout comme le gouvernement, ont des ressources financières, humaines et matérielles nécessaires pour se défiler de leurs responsabilités, afin de protéger leur bonne réputation. Elles oublient «leurs enfants» d’hier devenus adultes sans ressources.
1. Rapport AD HOC de la Conférence des évêques catholiques du Canada, De la souffrance à l’espérance, juin 1992, p. 23.
- La nécessité de fournir une formation utile à l’enfant se retrouve dans les principes contenus dans la Déclaration internationale des droits de l’enfant de 1923. L’article 4 de cette déclaration stipule en effet que «l’enfant doit être mis en mesure de gagner sa vie«. La charte précise aussi, à l’article 5, l’orientation que doit prendre cette formation: «L’enfant doit être élevé dans le sentiment que ses meilleures qualités devront être mises au service de ses frères«. […] Selon la Loi des orphelinats de 1886, les enfants de treîze ans et moins doivent aller à l’école toute la journée l’école.
Au lieu d’appliquer le droit à l’instruction, les autorités religieuses remplaçaient celui-ci par l’entretien ménager. Cette façon de procéder nous amenait à laver les planchers, les vitres, les murs, etc.; ces travaux ménagers permettaient aux communautés religieuses d’épargner des salaires. Le directeur des Compagnons de Montréal, monsieur Vincent de Villiers, lui-même reconnaissait avec une lucidité étonnante que le système a fait de nous des analphabètes:
- A l’asile, on nous a fait la classe jusqu’en quatrième année. Après, plus d’argent, on a retiré les enseignants. D’où les nombreux analphabètes. On nous a mis au travail du matin au soir, sans un sous ni amour, ni affection. La plupart des religieuses étaient rigides et froides.2
Rationalisation ou exploitation? Pour compenser le manque à gagner, la plupart des communautés religieuses favorisaient l’érection des institutions psychiatriques plutôt que des orphelinats où le ministère de l’Instruction publique devait exercer un contrôle. On le voit, l’effet du concordat entre l’Église et l’État ne nous pas été toujours bénéfique. Dans le livre «L’UNIVERS DES ENFANTS EN DIFFICULTÉ, à la page 239, Marie-Paule Malouin dit que:
- «Ces difficultés financières tiennent au fait, d’une part, que l’État refuse d’investir des sommes considérables dans la désinstitutions contrôlées en grande partie par l’Église…»
Ainsi, l’instruction devenait partiellement ou totalement absente dans ces institutions. Ce sont leurs pensionnaires, enfants, qui souffraient de cette absence d’éducation. Aujourd’hui, adultes, due à cette lacune, ils n’ont pu se trouver un emploi qui aurait pu répondre à leurs aspirations, un travail où ils auraient été heureux, un travail qui leur aurait permis de recevoir un salaire décent pouvant leur permettre d’atteindre une autonomie financière ainsi que la réalisation de soi et l’accomplissement personnel. Enfin un travail qui aurait pu signifier réussite professionnelle.
Par cette absence d’instruction, pour un grand nombre, ils sont condamnés à vivre pauvrement. D’où l’absence d’autonomie provoquant chez ces gens un sentiment de découragement et de laisser aller permanent.
Sans errer, on peut aff irmer que cent pour cent des gens ayant vécu dans ces institutions n’avaient pas à leur sortie une cinquième année de scolarité. Ils avaient entre quinze et tente ans. Bel héritage laissé par les dirigeants religieux et politiques. La stimulation intellectuelle était un élément pratiquement absente.
2. Vincent, de Villiers, Le Journal de Montréal, 29 mai 1989, p.12.
Plusieurs d’entre nous n’ont jamais fait l’objet d’une expertise médicale. Les tests psychologiques qu’on nous faisait passer ne reflétaient pas la réalité due à un manque d’instruction et d’un encadrement asilaire limitant le développement psychologique et intellectuel des enfants. Comment les religieuses, qui ne cessent de dire publiquement qu’elles nous aimaient, ont-elles pu laisser faire ce genre de pratique? Donc on peut affirmer sans se tromper que les résultats de ces tests étaient faussés car on confondait retard académique et déficience mentale. L’éthique professionnelle était mise de côté même si un code de déontologie existait.
La lecture de nos dossiers médicaux, pour la très grande majorité d’entre nous, a provoqué en nous une grande déception amère. Les diagnostiques de déficience, de débilité ou d’arriération nous ont comme enlevé à jamais notre dignité humaine, notre fierté. Le sentiment d’appartenance à une société juste et chrétienne s’est quelque peu envolé. Est-ce que les connaissances en psychiatrie et en psychologie étaient insuffisantes? Le docteur Lazure confirmait, au cours de l’émission «DROIT DE PAROLE», que ces connaissances étaient suffisantes pour diagnostiquer les enfants, et ce, d’une façon correcte et professionnelle. Est-ce que l’aspect monétaire a primé sur l’aspect humain? Pour ces bonnes religieuses, que veut signifie alors, « charité chrétienne »?
Pourquoi l’Église et les communautés religieuses ont elles approuvé ces événements? Le sentiment de pouvoir a-t-il été prioritaire par rapport à l’aspect humain? Quels intérêts étaient en cause? Certainement pas ceux des enfants!
- Les châtiments corporels sont aussi permis et courants à 1’époque, et ce, tant dans les écoles que dans les familles puisque le Code civil et le code scolaire de la Province prévoient «un droit de correction modéré» par le père ou, à défaut par la mère, le tuteur ou le maître.3
Dans différentes institutions, la violence se faisait très présente, plus pressante, plus angoissante. Elle était supérieure à celle des écoles publiques. L’internement dans une cellule, les corrections abusives et violentes, la médication abusive et les électrochocs, les insultes telles que «enfant du péché, «bâtard», «vaurien» étaient des formes de violence utilisées. Comme disait une religieuse au cours d’une réunion du Conseil des Oeuvres de Montréal: «Il faut casser le caractère des enfants«. C’était une forme d’agression physique, mentale et morale.
La violence a laissé, pour certains, des séquelles physiques permanentes; pour d’autres, des séquelles psychologiques, et pour plusieurs les deux types de séquelles sont encore omniprésentes. Dans d’autres cas, la violence provoque encore des sentiments de colère, de frustration et de peine surtout lorsqu’elle est extériorisée par l’individu. Aujourd’hui, vouloir ignorer cette violence, c’est la cautionner.
Nous, les orphelines et orphelins, par ces constats, désirons que toutes les formes de violence soient totalement absentes de ce monde présent et futur. C’est un idéal, un objectif que tous ensemble nous devons tendre. C’est pourquoi nous faisons appel à votre sens de la justice sociale.
L’Église doit aussi désavouer la violence exercée dans la ville de Montréal et à travers le Québec au cours des années antérieures comme elle l’a fait pour les orphelins chinois et comme la Conférence des évêques catholiques du Canada l’a également fait. D’ailleurs, les évêques du Québec sont membres de cette Conférence et en partagent donc les vues. Pourquoi, alors, ces mêmes évêques ne reconnaissent-ils pas au Québec ce qu’ils reconnaissent dans les autres provinces? Pour sa part, monsieur Antoine Céran pose la même question en termes de groupes linguistiques. «Est-ce que les anglophones ont un sens de justice plus élevé que nous les francophones?»
3 . Marie -Paule Malouin, L’univers des enfants en difficulté au Ouébec, Bellarmin, 1996, p.204.
- «Aux victimes maintenant adultes qui ont osé prendre le risque de dévoiler en public les séquelles de leurs souffrances; aux victimes de certaines institutions où se sont commises des agressions, ainsi qu’aux membres de leurs familles…»
Pour agresser sexuellement les garçons et les filles, l’argument «autorité» facilitait l’assouvissement sexuel de l’agresseur. Le même rapport on définit l’agression sexuel comme étant:
- tout contact ou toute interaction entre un enfant et un adulte, lorsque l’enfant sert d’objet de gratification sexuelle pour l’adulte. Un enfant est victime d’agression sexuelle indépendamment du fait qu’il ait ou n’ait pas été apparemment contraint à participer, qu’il y ait eu ou non un contact physique ou génital, que l’activité ait été amorcée ou non par l’enfant que, l’activité ait eu ou non des effets apparemment nocifs.
Si nous sommes d’accord avec cette définition, c’est parce que plusieurs d’entre nous avons connu cette malheureuse expérience. Dans la majorité des cas, l’exploitation sexuelle s’est fait dans la violence. L’agresseur a brisé la pureté d’un corps très jeune. II a profité de son innocence, de son ignorance, de sa peur. Il a considéré l’enfant agressé comme étant son objet, sa chose, sa possession. Il ne s’est pas préoccupé de l’âge de l’enfant, des séquelles permanentes, des troubles psychologiques qulune agression peut provoquer, des problèmes de fonctionnement, etc. Il faudrait faire une recherche approfondie pour détecter les séquelles laissées par une agression qui fut dans certains cas répétitive. Aujourd’hui, on s’intéresse davantage à la vie de l’agresseur qu’à celle de la victime. On nous dit: » Dû à son âge, il est trop vieux, on ne peut le condamner.»
Par leur silence, par leur refus d’une enquête sur les cas d’agressions sexuelles, ces autorités risquent de devenir, consciemment, complices des agressions qui ont eu lieu ou qui se poursuivent.
Pourquoi ne pas collaborer à dénoncer les agresseurs? Les dénonciations d’agression ne sont pas le fruit d’une fabulation. Dans le cas des agressions sexuelles dénoncées, on peut affirmer qu’une injustice très grave s’est appliquée au Québec. L’insuffisance de langage, la méconnaissance du sens de certaines questions posées par le policier et par le procureur, l’ambiance physique et psychologique ont été des éléments négatifs pour les agressés; il était difficile pour eux d’exprimer adéquatement leurs doléances. LI ef f et du manque dl instruction a prof ité aux agresseurs religieux et civils.
La fondation, en 1992, du C.O.O.I.D. a permis de regrouper des gens ayant vécu au cours de leur jeunesse dans différentes institutions où l’instruction brillait par son absence et la violence par sa présence. Elle n’est pas issue suite à l’événement «LES GARÇONS DE ST-VINCENT». Notre regroupement a permis à plusieurs d’entre nous de dévoiler les abus de pouvoir que les dirigeants religieux et civils ont exercé sur eux. Il a permis aussi de briser le mur du silence des souffrances gardées secrètement par gêne, par peur du rejet, d’incrédulité ou de mépris. Le poids de la souffrance fut, à un moment de notre vie, trop lourd à supporter, il fallait avoir la courage pour l’extérioriser.
Au départ, le C.O.O.I.D. s’était concentré sur le recours collectif, aujourd’hui, les démarches judiciaires sont temporairement suspendues mais sans abandonner la volonté qu’une justice humaine et morale soit mise en application. Le C.O.O.I.D. est un organisme qui se veut humanitaire; c’est-à-dire, qui offre différents services d’aide à ses membres qui sont dans le besoin. Malheureusement, nos ressources diverses sont fort limitées.
Nous espérons que ce mémoire permettra aux autorités ecclésiastiques de comprendre les souffrances passées et présentes des orphelins et orphelines.
Ce mémoire se veut un cri d’espoir et non de rancune. Nous profitons de ce synode pour réitérer notre demande de rencontre avec les représentants de l’Église de Montréal. L’objectif de cette rencontre est de trouver différentes solutions aux problèmes que vivent nos membres.
Les orphelines et orphelins, une fois les plaies guéries, veulent regarder en avant. Ils désirent que les souvenirs du passé ne soient plus un fardeau lourd à supporter. Certes, la vie a mal débuté pour eux, mais elle peut se terminer dans la dignité, dans la fierté, dans l’honneur et la joie de vivre.
4 . Feuillet de chants, Communauté chrétienne Ste-Maria Goretti.