ALLOCUTION DE L’HONORABLE JACQUES HÉBERT
Le scandale que constitue « l’Affaire des Orphelins de Duplessis » continue de nous harceler comme le remords d’une faute impardonnable. Il nous interpelle tous et le fera aussi longtemps que le Cardinal Turcotte et le Premier ministre Bouchard, c’est-à-dire l’Église et l’État, ne se résoudront pas à réparer de manière équitable les torts causés jadis à des enfants sans défense.
Pendant longtemps, au moins jusqu’à la Révolution tranquille, la question des orphelins, surtout de ceux qu’on qualifiait abusivement d’illégitimes, était un sujet tabou. Il fallait un courage hors du commun pour critiquer un système qui résultait de la complicité de trois super-puissances : le clergé d’abord, le gouvernement Duplessis et le corps médical.
Dans les années 50, (déjà !) Gérard Pelletier avait eu ce courage en publiant dans Le Devoir une série de reportages dévastateurs sur « les enfants tristes ». Le Québec tout entier en avait été ému et scanda lisé. Le journal VRAI et, plus tard, Cité Libre avaient publié des articles dénonçant un système inefficace, injuste et cruel. Le titre d’un article d’Alice Poznanska (Parizeau) résume bien la situation : « La protection de l’enfance : un sujet interdit ».
Pour ma part, à la fin des années 50, «avais fustigé le système dans un livre intitulé Scandale à Bordeaux, où, j’avais étudié plus à fond le cas d’une jeune victime parmi tant d’autres.
Le tirage ayant atteint les 13 000 exemplaires, on peut dire que le « sujet interdit » commençait à être connu du grand public. Mais le clergé garda un silence prudent tandis que Duplessis m’injuriait à l’Assemblée législative.
Quelques années plus tard, en 1964, ma maison d’édition avait lancé le bouleversant témoignage de Jean-Guy Labrosse, intitulé Ma chienne de vie qui, du jour au lendemain, devint un best seller. Nous avions publié tel quel, sans corrections, ce récit sincère mais maladroit, écrit au son, dans un invraisemblable joual. Il nous avait semblé que cette langue informe condamnait avec éloquence le genre d’instruction qu’avait reçue un pupille de l’État après vingt-cinq ans dans des orphelinats et des hôpitaux du Québec.
Bref, depuis au moins 50 ans, nous savons ce qui s’est passé, nous savons que les Orphelins de Duplessis ont vécu un cauchemar, dont les séquelles ne disparaîtront jamais. Et je trouve révoltant que les autorités religieuses et gouvernementales continuent de nier les faits et de tergiverser alors que, par simple esprit de justice, elles auraient dû réparer, il y a bien longtemps, les torts immenses causés par des institutions dont elles avaient le contrôle et la responsabilité.
C’est à cause de cette injustice que j’ai accepté de me joindre au Comité de soutien aux Orphelins de Duplessis.
Je crois que les citoyens du Québec n’aiment pas les injustices et je suis sûr qu’ils n’accepterons jamais celle que nous dénonçons ce matin.