ALLOCUTION DE DR DOMINIQUE BÉDARD

ALLOCUTION DE DR DOMINIQUE BÉDARD

C’est sans la moindre hésitation que j’ai accepté d’être membre de ce comité, car je suis de ceux qui croient que justice n’a pas été rendue aux orphelins de Duplessis.

Il fut une fois des élus, nos gouvernants de l’époque, qui décidèrent non seulement de priver des enfants, orphelins catalogués illégitimes, de toute forme d’éducation et de scolarisation, mais aussi de doubler cette aberration en les internant dans des asiles. S’y ajoutent alors à la décision des maîtres d’oeuvre, la complaisance médicale et la complicité des communautés religieuses. Et cette oeuvre odieuse devient truffée de bavures «comportementales» envers ces enfants.

Voilà ce qui s’est passé dans les années quarante et cinquante. Personne ne peut nier cette réalité vécue par les orphelins de Duplessis. En donnant une valeur magique à l’explication, on tente cependant de le faire et à défaut d’y parvenir, d’en minimiser l’importance. C’est un phénomène sociologique de l’époque ! ou encore, autres temps autres moeurs ! dit-on. Mais la réalité, on ne peut la nier : le gouvernement, des médecins et des communautés religieuses ont erré gravement : les enfants de Duplessis ne constituent pas un mythe.

Il ne faut donc pas se surprendre si aujourd’hui, en réponse à leurs réclamations, le gouvernement offre une solution très incomplète. Il invoque en plus les difficultés d’évaluation du nombre de ces enfants et des préjudices qu’ils ont subi et subissent encore. Il rappelle aussi l’existence des tribunaux. Les Évêques s’en lavent les mains et le Collège des médecins du Québec réfléchit toujours.

Beaucoup de choses ont été dites dernièrement par les Évêques qui méritent d’être rectifiées. Ainsi, lorsqu’on affirme que les religieuses étaient soumises à l’autorité des médecins, c’est un point de vue qui ne correspond pas a la réalité telle que nous l’écrivions dans notre rapport et dont je cite ces passages :

  •     1 . C’est le médecin qui, théoriquement, se situe en haut de     la hiérarchie (à l’hôpital), mais son influence se fait     bien peu sentir dans la salle.  En pratique, c’est la religieuse     hospitalière qui constitue la figure d’autorité et établit     les règles… (p. 10).
  •     2. C’est la plupart du temps l’officière qui de jour ou de nuit donne     le médicament qui lui paraît approprié, qui donne l’ordre     de placer le malade en cellule ou d’employer la contrainte ou de le     transférer dans une autre salle, quitte à faire signer le     médecin à sa prochaine visite.  C’est elle qui possède     la clé du tiroir des dossiers.  » (p. 12).
  •     3.Il faut rappeler que le Conseil d’Administration d’une institution     psychiatrique était souvent composé uniquement de religieuses,     propriétaires des hôpitaux. Nous écrivions aussi.     Il semble donc que le droit de propriété amène avec     lui le droit de gérance absolue, même quand il s’agit d’une     propriété édifiée, agrandie et entretenue à     même les fonds publics. » (p.24).

Dans le cas du Mont-Providence, nous disions:

» La Commission est convaincue que des centaines de malades continuent d’habiter nos hôpitaux mentaux, alors que leur état mental ne requiert pas l’hospitalisation.» (p. 132).

L’attitude des Evêques ne tient pas. Il est faux de prétendre que convenir des erreurs des religieuses, c’est renier l’authenticité de leurs missions et de leurs oeuvres.  Ainsi, même si dénonçons le sort fait aux enfants de Duplessis, nous ne nions pas pour autant le dévouement et la générosité de religieuses à leur égard. Quant au Collège des médecins du Québec, il doit faire état de son sens des responsabilités, d’abord, en convenant de l’émission de faux ou de pseudo certificats médicaux par plusieurs de ses membres. L’Église et le Collège doivent se ressaisir et rendre justice aux orphelins de Duplessis. Et ce faisant, ils faciliteraient la tâche du gouvernement de faire davantage.

Les enfants de Duplessis ont été victimes d’une grave injustice. Et aujourd’hui, à moins d’un changement majeur, ils seront victimes d’une autre injustice, plus grave à certains égards: le refus d’une reconnaissance «pleine et entière» de la première.