Le berceau des politiciens qui non rein fait pour ses enfants maltraiter dans les institution Canadienne et Québécoise
Journal des débats de la Commission des institutions
Version finale
35e législature, 2e session
(25 mars 1996 au 21 octobre 1998)
Le mercredi 12 mars 1997 – Vol. 35 N° 68
Mandat d’initiative sur les orphelins de Duplessis
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omité des orphelins et orphelines institutionnalisés de Duplessis (COOID)
Mémoires déposés
Protecteur du citoyen
Mme Céline Signori
Mme Madeleine Bélanger
M. Normand Jutras
M. Mario Dumont
M. Marcel Landry
M. Yvan Bordeleau
M. Guy Lelièvre
M. Thomas J. Mulcair
M. Joseph Facal
Mme Fatima Houda-Pepin
Mme Monique Simard
Mme Nicole Léger
* M. Bruno Roy, COOID
* Mme Yvette Gascon, idem
* M. Lucien Landry, idem
* M. Eugène Bazinet, idem
* M. Daniel Jacoby, Protecteur du citoyen
*Témoins interrogés par les membres de la commission
Journal des débats
(Neuf heures neuf minutes)Le Président (M. Paquin): Alors, je constate le quorum et je déclare la séance ouverte. Je rappelle le mandat de la commission des institutions aujourd’hui, qui est réunie afin de procéder à des consultations particulières dans le cadre d’un mandat d’initiative qu’elle s’est donnée sur les enfants de Duplessis.
M. le secrétaire, est-ce qu’il y a des remplacements?
Le Secrétaire: Oui, M. le Président. Mme Bélanger (Mégantic-Compton) remplacera M. Ciaccia (Mont-Royal).
Le Président (M. Paquin): Alors, l’ordre du jour est le suivant. S’il y a lieu, il pourrait y avoir des remarques préliminaires. Autrement, on irait directement aux auditions et il y aurait une conclusion par des remarques finales aussi si les membres de la commission le désirent.
(9 h 10)
Je dois indiquer à cette assemblée que c’est suite au rapport du Protecteur du citoyen que les membres de la commission ont trouvé un intérêt majeur à tenir les auditions d’aujourd’hui. Alors, cette rencontre vise à faire une écoute active et empathique de façon à bien s’approprier l’ensemble des données de cette problématique sociale. Par la suite, ultérieurement, les membres de la commission pourront délibérer à un autre moment, dans une séance de travail, pour voir les suites à donner et la nature du rapport à compléter.
Nous recevrons dans un premier temps, à moins que des députés ne désirent faire une remarque préliminaire à ce moment-ci, le Comité des orphelins et orphelines institutionnalisés de Duplessis, pour une période d’approximativement une heure. Dans un premier temps, vous pourrez, madame et messieurs, faire une présentation d’une vingtaine de minutes. Par la suite, le temps sera réparti équitablement des deux côtés de cette table pour une période de questions et d’échanges.
Alors, M. Bruno Roy, président, si vous vouliez présenter les personnes qui vous accompagnent. D’abord, est-ce que c’est un document que vous déposez aujourd’hui, celui-ci?
M. Roy (Bruno): Oui. Alors, à ma gauche, Mme Yvette Gascon, qui est membre du conseil d’administration; le vice-président, Eugène Bazinet; le secrétaire, Lucien Landry; et des gens en arrière qui sont aussi membres du conseil d’administration.
Je veux d’abord vous remercier de nous recevoir. Je pense que c’est une étape extrêmement importante dans la poursuite de nos objectifs.
Ce n’est pas un hasard si j’ai intitulé ça Pour une réconciliation avec la justice . Une injustice à l’un d’entre nous est une menace pour tous, et ce qui s’est passé hier pourrait se passer demain.
La publication, le 22 janvier dernier, du rapport du Protecteur du citoyen,Les «Enfants de Duplessis»: à l’heure de la solidarité , est en soi un événement historique majeur. Sa parution marque pour notre groupe une étape de première importance, voire décisive, dans la longue lutte des justiciables que nous sommes. C’est la première fois qu’une autorité de cette importance et de cette nature indépendant prend acte de notre réalité d’injustice. En effet, le Protecteur du citoyen a légitimé notre démarche et il cite d’ailleurs nos travaux, leur accordant ainsi la même crédibilité que les recherches de nos opposants dans ce dossier. Tel est donc l’intérêt de son rapport. Les arguments de chacune des parties convergent vers un même constat: les faits sont reconnus. Une conclusion s’impose: la société ne peut plus tolérer un scandale dont elle connaît l’existence.
«Les droits que les chartes, les codes et les lois reconnaissent aujourd’hui aux enfants ne sont pas de pures abstractions des deux dernières années», écrivait le Protecteur. Ce dernier rappelle avec justesse qu’il faut donner un sens à tous ces droits. La responsabilité en cette matière n’est pas que légale, elle est aussi morale.
Nous tenons à souligner que ce rapport a fait avancer notre propre réflexion et nous a donné l’audace d’aller plus loin. Ainsi, dans le dossier des enfants de Duplessis, des fautes fondamentales ont été commises, des droits de l’homme ont été violés. Certaines de ces fautes ont été préméditées. Les faits sont alarmants, et le problème de justice qui en découle concerne non seulement la population québécoise ou canadienne; le problème concerne les populations du monde. On le sait, les pays occidentaux se sont donné le droit de protéger les droits de l’homme à travers tous les pays. Voilà pourquoi nous disons qu’un problème lié aux droits de l’homme concerne l’humanité, pas seulement une administration locale, provinciale ou nationale.
Dans son rapport, le Protecteur du citoyen résume l’expérience canadienne relativement à des situations semblables. Il s’agit, selon nous, d’une pièce maîtresse de ce rapport, laquelle fait appel à l’autorité morale et juridique des précédents. Toutefois, la majorité des précédents dans les autres provinces réfèrent à l’indemnisation principalement pour les abus sexuels. Par contre, dans son rapport, les critères dits objectifs, le Protecteur les a réduits à deux: l’internement illégal, mesurable en termes d’années; et les agressions sexuelles ou les abus physiques. On comprend ici qu’il y a un volonté de synthèse, non pas nécessairement d’exclusion. Ses conclusions, donc, nous surprennent dans la mesure où l’analyse qui les ont précédées tenait compte d’une dynamique beaucoup plus large. Bien que ce ne soit pas son intention, nous craignons un effet de simplification qui risque de réduire à une justice à rabais. Il en résulterait des injustices sérieuses en plus de la réintroduction d’une injustice arbitraire.
En fait, aux fins de préciser la nature et leur pertinence et c’est dans ce sens-là que nous allons plus loin d’une certaine manière que le Protecteur, parce que,la piste, il nous l’a tracée nous avons pensé qu’il y a sept préjudices qui sont identifiables dans notre dossier. On pense que chacun des préjudices devrait être évalué spécifiquement et séparément pour chacun des enfants de Duplessis. Je les cite, donc: le faux diagnostic, l’internement illégal, l’absence d’instruction, l’exploitation économique, les agressions sexuelles, les préjudices particuliers et ici ce qu’on entend par préjudices particuliers, c’est évidemment tous les sévices de violence par exemple physique ou autre et la perte de jouissance de la vie.
Et, à ce propos, concernant la perte de jouissance de la vie, je vous ai remis un petit document tantôt qui vient l’Université McGill. En fait, c’est une recherche qui en est à ses débuts, donc vous avez là des résultats préliminaires. Ce que le Dr Sigal et son équipe ont fait, c’est qu’ils ont essayé de faire une étude descriptive et comparative des difficultés une espèce de profil psychologique et somatique de notre groupe. Je ne ferais pas la lecture de tout le dossier c’est pourquoi j’ai voulu le déposer ce matin mais il s’agit juste de voir et de comparer.
Vous avez le premier groupe du COOID dont le nombre est de 31 et une population provenant de Santé-Québec. Dans cette population, il y a deux sous-groupes: de 0 $ à 10 000 $ comme revenu; l’autre, de 10 000 $ à 30 000 $. Et on s’aperçoit, quand on compare, par exemple la vie stressante, dans notre groupe à nous, le stress s’évalue à 74,1, alors que, dans les autres groupes, c’est 46 et 49. Et on pourrait poursuivre et s’apercevoir que, effectivement, concernant la perte de jouissance de la vie… Je pense que ce tableau-là témoigne éloquemment de cet argument, et c’est pourquoi nous l’avons, nous, ajouté comme préjudice important. Alors donc, c’est à lire pour mieux comprendre en fait les difficultés psychologiques et somatiques de notre groupe.
Il faut voir aussi, dans les sept préjudices que je viens de signaler, leur effet comme cumulatif, et c’est dans ce sens-là qu’il faut comprendre ce que maintenant je vais vous lire. «La clientèle des orphelins a constitué contrairement aux enfants des familles une clientèle captive. Leur exploitation comme leur manque d’instruction a posé, au cours de leur existence, un réel problème d’employabilité. Le préjudice ne se réduit pas à une baisse ou à une absence d’instruction. L’absence de langage résultant de leur situation est un préjudice fondamental dans le développement de la personne.» Et c’est dans ce sens-là qu’on est d’accord avec ce que Me Jacoby dit dans son rapport. Mais, nous, nous ajoutons qu’il faut comprendre la notion d’absence d’instruction. Il ne faut pas la faire équivaloir strictement à la question d’une absence de scolarité, ce qui serait banaliser le problème de l’absence d’instruction, parce que, et on l’a vu, une des raisons pour lesquelles certains éléments de notre dossier a été refusée au criminel, c’était l’absence de langage.
Donc, ce qui, il y a 30, 40 ou 50 ans, avait causé cette absence de langage là nous joue encore aujourd’hui un mauvais tour. C’est dans ce sens-là que l’absence d’instruction pour nous, c’est beaucoup plus qu’une baisse de scolarité ou une absence de scolarité, c’est une absence de langage et donc une absence de développement de la personne. Au fond, c’est une perte de capacité d’apprendre et de comprendre notre situation et ce n’est qu’avec le temps, avec l’expérience de la vie qu’on a compris un certain nombre de choses. C’est pourquoi, nous, nous pensons que l’absence d’instruction doit être un facteur extrêmement important à considérer.
D’autant que, si on compare les gens qui, dans des familles, ont été retenus pour des fins de travail à la ferme et qui ne sont pas allés à l’école avec ceux notre groupe, ce serait intéressant de faire le pourcentage des gens qui sont analphabètes; on s’apercevrait que le pourcentage chez nous est beaucoup plus grand. Il y a un capital, ici, humain et affectif, il y a un héritage matériel dont on n’a pas profité, et c’est dans ce sens-là, je pense que l’exploitation économique est aussi pour nous quelque chose de fondamental. Donc, nous complétons en fait la pensée du Protecteur là-dessus.
(9 h 20)
Dans son rapport, le Protecteur exclut les préjudices, donc, que sont l’absence d’instruction et l’exploitation non pas parce qu’il les mésestime, mais parce qu’ils sont difficiles à évaluer, et on comprend que, dans l’ensemble de la problématique, il va falloir baliser cette définition-là. Nous ajoutons, nous, le sens que nous venons donc de dégager.
Quant à l’établissement d’un faux diagnostic de déficience, d’arriération mentale ou de débilité mentale, il est un dommage en soi, puisque ce diagnostic oblige tout intervenant à traiter la personne comme telle. Là, ça, c’est pour nous aussi un argument important parce que, dans le rapport, ce n’est pas exclu et on reconnaît, et d’ailleurs à ce niveau-là, Me Jacoby cite le docteur Lazure: «Il y a effectivement des erreurs de diagnostic.» Cependant, nous ajoutons ceci, c’est que nous pensons qu’il faille distinguer l’internement illégal et la notion d’arriération mentale, pour la simple et bonne raison que le seul fait d’être étiqueté «malade mental» conduit à nous traiter comme tels. Voyez-vous? Et, en ce sens-là, que nous ignorions la réalité à ce moment-là parce qu’on était dans un milieu captif n’enlève rien au drame qui se produit. C’est qu’à partir moment où on étiquette quelqu’un de «malade mental» on le traite comme tel, avec toutes les conséquences que vous savez et qui sont liées, bien sûr, à la vie de l’asile.
D’un autre côté, si nous distinguons l’aliénation mentale et l’internement, c’est que l’internement, c’est la perte des droits civils, c’est la perte de fonctionner comme un être normal dans la société, c’est la perte évidemment d’autonomie, et là c’est… D’ailleurs, je reprends ici une expression du Protecteur, dans le rapport, lorsqu’il parle de dépendance institutionnelle. Et, donc, pour nous, c’est deux manifestations distinctes. Bien sûr, il y a une relation de cause à effet dans ces deux critères.
Alors, vous voyez que, si on ajoute ces deux critères, si on ajoute l’absence d’instruction, l’exploitation économique, etc., c’est dans ce sens-là que je parle des faits cumulatifs des préjudices. Ce qui l’a placé, l’orphelin, le place encore dans un statut d’infériorité juridique et sociale qui se poursuit bien après sa majorité. Et, encore aujourd’hui, plusieurs des nôtres sont plongés dans une absence totale de droits civils. Certains d’entre nous sont encore sous la curatelle publique. Évidemment, ils ont développé ce qu’on appelle, en termes de psychologie, une déficience acquise, voyez-vous? Mais il ne faut pas oublier l’origine de cette déficience acquise.
Donc, le seul fait d’avoir été traité comme malade mental, d’avoir été interné comme tel a ébranlé à jamais les fondements de la personnalité. Pour certains qui en portent encore les séquelles, les retards sont devenus chroniques et irréversibles. Et je dis toujours à ce moment-ci: Il ne faut jamais confondre ceux qui sont ici et ceux qu’on ne voit pas. Ceux qui sont ici, c’est ceux qui s’en sont sortis, avec les moyens du bord. D’autres ont été plus chanceux, d’autres moins. Mais, de nous en être sortis, nous, ne doit pas justifier le système dans lequel nous étions. Et ça, pour nous, c’est fondamental. Il ne faut pas que si on me permet cet orgueil notre réussite sociale, entre guillemets, devienne l’alibi pour évacuer le dossier. Il y aurait là, quelque part, une lâcheté profonde, je crois.
Une voix: C’est une extrême minorité.
M. Roy (Bruno): En plus. Pour mettre certains chiffres, donc, en perspective, parce qu’il faut parler des chiffres, je vous dis tout de suite que nous n’avons pas, nous, proposé de chiffres, nous ne sommes pas des experts, nous ne sommes pas des actuaires. Comment évaluer un préjudice physique ou psychologique? On n’a pas…
Ce qu’on comprend dans ce que Me Jacoby a proposé, c’est une piste qui est, bien sûr, à discuter, mais c’est une piste. Nous, ce qu’on ajoute à cette piste-là, c’est que, quand la piste qui est proposée est mise en perspective, peut-être qu’on comprend mieux que les chiffres qui sont proposés ne sont pas suffisants. C’est dans la mise en perspective des chiffres qu’on comprend que ce n’est pas suffisant. Il me reste combien de temps?
Le Président (M. Paquin): Environ sept minutes.
M. Roy (Bruno): C’est pas mal. Pour mettre certains chiffres, donc, en perspective, prenons l’exemple de l’hôpital Saint-Ferdinand qui, suite à un conflit syndical en 1980, a dû dédommager des victimes. Le tribunal a justifié des dommages de 300 $ par mois pour chacun des mois de séjour dans ce centre d’accueil: 300 $ par mois, c’est 3 600 $ par année, par individu qui a été privé de soins habituels. Or, dans notre dossier, le Protecteur du citoyen, évidemment, propose un montant de 1 000 $ par année d’internement illégal.
Alors, si on le met en perspective, on s’aperçoit que c’est moins de 84 $ par mois. Mis en perspective, compte tenu de la gravité du préjudice et là il s’agit de référer aux sept préjudices dont j’ai fait mention tantôt pour mesurer la gravité et que si, dans ce contexte, on exclut le préjudice de violence physique et d’agressions sexuelles et qu’on pense aux cinq autres critères, si les cinq autres critères devaient se résumer à 1 000 $ par année, je pense que la mise en perspective montre que c’est nettement insuffisant et qu’il y aurait peut-être là un nouveau préjudice. Parce que, quand on compare avec les autres provinces, c’est clair que ce qui est proposé, pour nous en tout cas, doit être augmenté, sans aucun doute.
Prenons un autre exemple, celui d’un préjudice commun: le faux diagnostic médical. En Alberta, Mme Muir s’est vu attribuer, en sus d’autres compensations, 300 000 $ d’indemnisation pour avoir été faussement déclarée malade mentale et traitée comme telle. Évidemment, je suis très conscient que, quand c’est une seule personne, on peut peut-être se permettre un tel montant et que le nombre que nous constituons peut faire peur. Un montant de 300 000 $ pour avoir été déclaré malade mentale et traité comme tel, multiplié par 2 500, ça peut vous inquiéter. Ça peut vous inquiéter, je le comprends très bien. Cela dit, je mets en perspective simplement la dimension, la valeur du préjudice il y a un précédent qui existe et je pense qu’il faut le mesurer, ce préjudice, en fonction, évidemment, du nôtre. Si on ne tient pas compte du nombre, on a un exemple de 300 000 $ pour ce préjudice.
Tout ça pour dire que c’est clair que notre dossier n’est pas simple. Il n’est pas simple, mais je ne crois pas que, pour cette raison et à cause du nombre, on doive établir des choses à rabais. Sinon, il y a là encore une victimisation de notre groupe, ce qui, d’ailleurs, pourrait nous inquiéter. Nous sommes d’accord que chaque partie qui était là au début, pourquoi l’une d’elles serait-elle absente à la fin, au moment de la solution? Donc, nous partageons l’avis du Protecteur: l’État doit assumer ses responsabilités et il lui appartient, par les moyens dont il dispose, de faire partager les coûts de ce programme par toute partie qu’il juge appropriée eu égard aux circonstances.
Nous sommes même d’avis que le gouvernement du Québec devra étudier toutes les possibilités existantes pour tenter d’obtenir une contribution financière du gouvernement fédéral à ce programme d’indemnisation, comme c’est le cas dans les autres provinces canadiennes dans les dossiers du même ordre. Je rappelle que, dans le dossier du Mont-Providence, un des facteurs majeurs qui a créé le problème au Mont-Providence, c’est, entre autres, les relations fédérales-provinciales. Ça ne date pas d’hier, n’est-ce pas? Donc, il est logique d’aller chercher de l’aide de ce côté-là.
Plusieurs des nôtres sont inquiets à l’analyse, évidemment, des propositions, des mécanismes qui seront mis en place pour établir une preuve vraisemblable. Mais, quand on relit comme il faut le document, l’inquiétude est vraiment mitigée parce qu’on s’aperçoit que, effectivement, la preuve de vraisemblance n’inclut pas exclusivement des documents écrits. Parce que c’était notre crainte. Aller chercher des documents écrits pour faire une preuve de vraisemblance… Prenons deux exemples. Il y a des dossiers qui ont été détruits et il y a des dossiers qui ont été mutilés. Si on se fie uniquement à ces dossiers-là, c’est inquiétant. Et, si on se fie aux témoignages écrits lors des enquêtes policières… Quand on sait comment les enquêtes policières ont été menées, si on devait se fier à ces documents pour établir une base, je pense que ce serait inquiétant.
Donc, en relisant très bien le document, on s’aperçoit que la notion de vraisemblance, c’est, au fond, l’idée de corroboration à laquelle il faut penser. Je pense que, dans ce sens-là, et le Protecteur et nous allons tout à fait dans le même sens.
(9 h 30)
Ce qui nous importe aussi, c’est que le comité multipartite, je pense qu’il est nécessaire au niveau de l’échange, mais je ne crois pas qu’il soit nécessaire au niveau de l’évaluation. Je pense que, à relire le texte, on voit qu’il y a une logique: ça doit conduire vers un comité indépendant. Parce que, si le comité multipartite qui comprend toutes les parties, donc, y compris les victimes… Si elles échangent entre elles ce qui m’apparaît fondamental et nécessaire je crois que ça ne doit pas être à ce comité-là d’évaluer les dossiers. Il doit y avoir un comité indépendant. Et je crois, à moins que je me trompe, que c’est exactement dans le sens du Protecteur du citoyen.
Bref, l’idée d’un comité multipartite où chacune des parties apportera son point de vue nous convient. Nous sommes parfaitement à l’aise avec l’échange et le dialogue. Cela peut paraître étonnant, mais, si on nous avait mieux écoutés, on aurait compris vite qu’on voulait le dialogue et l’échange. La clientèle du COOID exige, en effet, un mécanisme d’accompagnement, et ça, j’aimerais qu’on le comprenne très bien. Le comité de soutien auquel le Protecteur du citoyen réfère et, en fait, qu’il suggère, je pense que c’est extrêmement prudent et je dirais que c’est très humain. Parce que, dans notre groupe, il y a des problèmes précis. Et je pense que le comité de soutien devra tenir compte de la recherche des dossiers et de l’évaluation des dossiers, de l’annonce du programme, du soutien après le programme, etc. Donc, pour nous, le comité de soutien est un élément clé pour la réussite de la conduite de ce dossier.
Bref et je conclus s’il est habité par un sens de la justice humaine, le gouvernement ne peut ignorer les conclusions du rapport du Protecteur du citoyen. Malheureusement, en date d’aujourd’hui, aucune position officielle du gouvernement n’a été exprimée. Ne pas répondre, c’est non seulement refuser, mais c’est nier le bien-fondé non seulement de nos préjudices, mais le bien-fondé du rapport. Comme le dit le dicton: Une justice reportée est une justice déniée. Et j’aimerais qu’on comprenne que cette justice reportée, ça fait déjà quatre ans. Merci.
Le Président (M. Paquin): Merci, M. Roy. Alors, nous sommes très nombreux aujourd’hui. Je voudrais rappeler le règlement sur le temps consacré. Alors, le président partage entre les députés de la majorité et ceux de l’opposition le temps que la commission consacre à chaque personne ou organisme, sous réserve de l’alternance. Chaque député peut parler aussi souvent qu’il le désire, sans excéder 10 minutes consécutives.
Je constate qu’on est nombreux à vouloir prendre la parole. Donc, je vais appliquer le règlement, mais, par contre, j’invite chacun à tenir compte du nombre important de députés qui souhaitent prendre la parole dans ce dossier fort significatif et, en conséquence, de s’autocensurer, de ne pas prendre les 10 minutes, s’il vous plaît.
Alors, de chaque côté, on commencera du côté ministériel, on ira du côté de l’opposition par alternance. Alors, d’abord, du côté ministériel, Mme la députée de Blainville, qui sera suivie de Mme la députée de Mégantic-Compton et critique de l’opposition. Alors, Mme la députée de Blainville.
Mme Signori: Alors, M. Roy ainsi que ceux qui vous accompagnent et je voudrais saluer particulièrement M. Bertrand, qui est résident de mon comté et avec qui j’ai eu plusieurs entretiens merci de votre présentation. Nous sommes tous touchés, ici, par ce que vous avez vécu. Je ne veux pas parler au nom de mes collègues, mais, moi, personnellement, je crois qu’ici, notre devoir, c’est de vraiment essayer de vous entendre, de vous écouter, mais de vous entendre profondément pour qu’on puisse ensuite faire des propositions.
J’ai des souvenirs ineffaçables des orphelins et des orphelines de Duplessis parce que, jeune fille, j’ai travaillé à la Crèche d’Youville. Alors, pour moi, ce que vous avez vécu, par personnes interposées un peu, j’ai eu connaissance de ça. Alors, j’aurais plusieurs questions à vos poser, mais M. le président a mentionné qu’il y en a d’autres qui voudraient vous poser des questions aussi. Le comité de soutien et le comité indépendant, est-ce que c’est la même chose? Le comité de soutien, c’est un comité qui travaillerait auprès des orphelins de Duplessis?
M. Roy (Bruno): C’est-à-dire que ça pourrait, par exemple, théoriquement, être le COOID. Ça pourrait être un autre organisme qui pourrait, selon votre analyse, être précisé. Je ne pense pas que, dans ce comité de soutien, nous soyons absents. Je pense qu’il y a une formule à trouver. L’idée que je trouve extrêmement intéressante, c’est que ces gens-là ont besoin d’être accompagnés au moment même où ils vont faire leur demande de compensation, si ça devait aller par cette voie-là. Et ces gens-là ont un besoin. Je rappelle que l’on évalue à 80 %, 85 % d’analphabètes chez nous. Alors, c’est sûr que ce n’est pas suffisant, les annonces dans les journaux. Il y a une infrastructure avec… Nous, notre comité, on n’a pas les moyens d’accompagnants. Alors, on a besoin d’un soutien, on a besoin de gens capables de nous soutenir.
Quant au comité indépendant, moi, je vois ce comité-là, indépendant, pour concevoir le programme, pour sa mise en place et pour l’évaluation, mais je ne vois pas… En fait, l’idée principale, c’est que je ne vois pas toutes les parties à cette table-là. Je ne vois pas les médecins, les communautés religieuses en train de nous évaluer. Je ne vois pas ça du tout. Et c’est dans ce sens-là que je distinguerais. Et je pense que le comité indépendant, c’est celui qui va prendre les décisions concernant si tel dossier est acceptable ou pas, etc. Et, nous, notre crainte, je pense que je le dis de façon plus élaborée dans le rapport que vous avez eu la semaine dernière, c’est d’être noyés. C’est ça, notre crainte.
Mme Signori: Je m’excuse, d’être quoi?
M. Roy (Bruno): Noyés.
Mme Signori: Noyés. Merci.
M. Roy (Bruno): D’être noyés. C’est ça, notre crainte, au fond. Et je pense que l’idée d’un comité indépendant nous sécurise davantage. Il ne faut jamais oublier la psychologie de notre groupe. Il y a un rapport de confiance qui n’existe pas. Il ne faut pas se leurrer, là. Ce rapport de confiance n’existe pas. Alors, se mettre à la même table que des gens qui sont à la fois ceux qui trouveraient une solution, mais ceux qui sont aussi la cause, ce n’est pas évident pour nous. Voyez-vous? C’est psychologique.
Mme Signori: Alors, le comité de soutien serait là pour être présent auprès de la clientèle des orphelins et des orphelines de Duplessis, même pour aller les chercher, dans le fond, parce que, comme vous dites, s’ils sont analphabètes, ils ne voient pas les annonces dans les journaux, et tout ça. Il faut comme récupérer ces gens-là le plus possible puis pouvoir aussi leur faire connaître leurs droits et leurs possibilités aussi de pouvoir…
M. Roy (Bruno): Au comité indépendant, par exemple, on pourrait penser à quelqu’un qui représente, je ne sais pas, la Commission des droits de la personne; ça pourrait être le Protecteur du citoyen lui-même; ça pourrait être l’Office des personnes handicapées: je veux dire, des gens dont on est certain de l’indépendance à tout point de vue. Je pense que ça donnerait beaucoup de crédibilité à la démarche.
Cela dit, on sait que, dans les autres provinces, tantôt la négociation a fonctionné, tantôt elle n’a pas fonctionné. Il faut se souvenir de ça. Alors, nous, compte tenu de l’ampleur du dossier, compte tenu de la complexité, je pense qu’il faut que les gens se rencontrent, toutes les parties doivent se rencontrer, et ce comité-là ne pourrait pas s’empêcher de suggérer au comité dit indépendant d’aller dans telle voie, telle autre. Mais ce ne serait pas eux qui décideraient. Il y aurait une instance plus objective, au fond, pour prendre des décision, et je pense, à moins que je ne me trompe le Protecteur pourra le confirmer tantôt que c’est le sens de la démarche qu’il propose.
Mme Signori: Merci.
Le Président (M. Paquin): À titre indicatif, huit autres députés voudraient poser des questions. Mme la députée de Mégantic-Compton et critique de l’opposition pour ce genre de question.
Mme Bélanger: Merci. Bonjour, M. Roy. Bonjour, messieurs. Moi, j’aimerais revenir à l’époque des années des enfants de Duplessis, qui étaient, en fait, les années trente. Et, à ce moment-là, je pense qu’il y avait une crise économique où le taux de chômage était énorme, ce qui a engendré une grande pauvreté dans l’ensemble de la société. On sait qu’à cette époque, il n’y avait pas de régime public qui aidait les plus démunis comme on peut vivre aujourd’hui. Il n’y avait pas d’aide puis il n’y avait pas de sécurité du revenu. Ne croyez-vous pas qu’à cette époque il n’y a pas juste les enfants de Duplessis qui ont eu à subir… peut-être pas les sévices que vous avez subis dans les institutions, s’il y en a eu, mais qui ont eu aussi à subir la grande pauvreté, la misère dans le monde à ce moment-là?
M. Roy (Bruno): Moi, je ferais d’abord une précision. Je crois que vous avez fait erreur en identifiant les années trente. Nous, c’est les années quarante et cinquante.
Mme Bélanger: Mais c’était entre 1930 et 1965.
M. Roy (Bruno): Non, mais, si on parle de notre groupe, là. Bien sûr que, si on fait un rappel historique, on pourrait remonter aux années trente, c’est évident, d’une part. D’autre part, ce qu’il faut comprendre, c’est que, oui, il y avait de la pauvreté à cette époque-là, mais, dans les années quarante et cinquante, on était dans une expansion économique. On était dans un contexte d’expansion économique, dans les années cinquante. Il y avait des millions pour la brique, mais il y en avait très peu pour les compétences humaines et professionnelles. Je veux dire, là, il y a un choix de société aussi qu’il faut questionner à l’époque.
Je pense que vous simplifiez beaucoup lorsque vous parlez de pauvreté parce que ça se situe dans le contexte des années trente, ce à quoi vous faites référence, alors que ce dont nous parlons se situe dans les années cinquante. Et je pense qu’il y a un contexte, il y a une différence majeure à faire.
Et, quant à la notion de pauvreté, mettons l’hypothèse de ce contexte de pauvreté. Oui, les gens étaient pauvres, mais les gens étaient dans des familles, il y avait une possibilité d’épanouissement affectif. Pas chez nous. Je veux dire, là on pourrait multiplier les exemples. Je pense qu’il ne faut pas comparer des pommes avec des oranges.
Mme Bélanger: Bon, je pense que je n’ai pas essayé de comparer des pommes avec des oranges, là, parce, quand vous dites que le Protecteur du citoyen ne tient pas compte non plus du préjudice lié à l’absence d’instruction… Parce que je pense qu’à cette époque, là, ce n’est pas tout le monde qui avait la chance d’aller à l’école parce que la pauvreté exigeait que, les enfants, à partir de la quatrième, cinquième année, ils devaient commencer à travailler, et ces gens-là aussi ont connu le préjudice du manque d’instruction dû au fait que l’instruction n’était pas obligatoire à ce moment-là.
M. Roy (Bruno): Oui, je veux rappeler que les religieuses étaient subventionnées aux fins de nous instruire, et elles ne nous instruisaient pas. Elles recevaient des subventions à cette fin, il ne faut jamais l’oublier, d’une part. D’autre part, je voudrais rappeler que, si on réduit l’absence d’instruction à l’absence de scolarité, vous avez raison. Mais ce n’est pas ça dont on parle: on parle d’une absence de langage, on parle d’une absence par manque de conceptualisation, de compréhension. Ce qui nous est enlevé, c’est l’incapacité de comprendre et d’apprendre et dans un contexte d’asile. Si on mésestime ce contexte-là, on réduit, encore une fois, et de beaucoup, la notion d’absence d’instruction.
Quant à ce que Me Jacoby a dit, ce qu’il a dit c’est qu’il a cru que ça va être difficile à évaluer. C’est ça qu’il a dit dans son rapport. Et, nous, ce que nous disons, c’est que, si on précise, si on précise ce que nous entendons par «absence d’instruction», je pense que ça s’éclaire davantage et que ça devient une nécessité. Voilà. Il s’agit ici de préciser les choses. Parce que, sur le fond, encore une fois, si on simplifie avec les valeurs de l’époque… Il ne faut jamais oublier que le Mont-Providence, ça a été fait en échange de 3 000 000 $. Le problème, c’était une question d’argent; ce n’était pas une question de valeurs d’époque, mais absolument pas. Voilà.
Mme Bélanger: Bon. Moi, j’aimerais faire une petite précision sur le fait que vous dites que les institutions recevaient de l’argent pour vous instruire, mais aussi pour vous nourrir.
M. Roy (Bruno): Oui, j’espère.
Mme Bélanger: …et que, ce qu’on nous dit, c’est qu’à ce moment-là, du gouvernement, on recevait 0,25 $ par enfant et pour le nourrir et pour l’instruire. Alors, je ne pense pas que c’était la manne non plus.
Mme Gascon (Yvette): Pardon? Vous dites 0,25 $ par enfant?
Mme Bélanger: 0,25 $ par jour, par enfant.
Mme Gascon (Yvette): Bon, bien, moi, ce que j’ai lu dans la commission Bédard, c’est bel et bien écrit noir sur blanc, c’est qu’on prenait, par tête d’idiot, 2,75 $ par jour.
M. Roy (Bruno): C’est le per diem. Oui, oui, dans le rapport Bédard, il faut juste le vérifier, c’est clair que c’est 2,75 $ de per diem, par jour, par enfant; ça, il y a aucun doute. Je veux dire, votre 0,25 $, je ne sais pas où vous le prenez, là. Je ne sais vraiment pas où vous le prenez.
Mme Bélanger: C’est une information que j’ai eue. Je regrette si elle fausse, je vais la revérifier. Mais vous dites que le rapport du Protecteur du citoyen, c’est une base de négociation.
M. Roy (Bruno): Juste un instant, dans le rapport de Me Jacoby, allez à la page 9 pas tout de suite, mais pour plus tard et je pense que les indications sont claires là. Alors, votre 0,25 $, je ne sais pas où vous l’avez pris. Oui, vous pouvez continuer, excusez-moi.
Mme Bélanger: Bon. En revenant au rapport du Protecteur du citoyen, vous dites que le rapport du Protecteur du citoyen sur les enfants de Duplessis est une base de négociation. Qui va négocier au nom des enfants de Duplessis?
M. Roy (Bruno): J’ai toujours pensé qu’il serait étonnant qu’on soit absents de la négociation. On est partie prenante, on ne laissera pas aux autres de décider de ça. Il nous apparaît tout à fait normal, dans un régime démocratique, de participer à ce genre de chose, d’une part. D’autre part, le négociateur, en tout cas, dans ma tête à moi, ce n’est pas Me Jacoby Me Jacoby a fait avancer notre dossier d’une façon majeure bien sûr que c’est le gouvernement, lorsque le gouvernement se manifestera. Je fais juste rappeler qu’il ne s’est pas encore manifesté, et on comprendra mon inquiétude. Mais, lorsqu’il se manifestera, c’est sûr que…
Nous, ont dit, là, actuellement on évalue à sept préjudices, prenons cet exemple-là. On souhaite que le gouvernement, lorsqu’il va établir sa solution, tienne compte de ces sept préjudices. Mais présumons qu’il dit: Écoutez, si on pouvait regrouper certains préjudices. bien là on en reparlera à ce moment-là.
Mais là, au moment où on est, on ne fait qu’indiquer l’éclairage que nous voulons donner à ces négociations-là. À mon point de vue à moi, à moins que je sois complètement ignorant du fonctionnement, là, ce n’est pas Me Jacoby qui va négocier en notre nom. Me Jacoby a pris acte d’une injustice et il a fait un rapport. C’est un pouvoir de suggestion qu’il a, pas d’intervention politique, à ma connaissance en tout cas. Et donc, c’est clair que… Et ce que Me Jacoby propose à l’intérieur même du rapport, c’est un comité multipartite où les gens impliqués vont échanger. Et, suite à une instance décisionnelle indépendante, je pense que là les choses vont se décider. Mais ça ne peut pas se faire dans l’abstraction et je ne pense pas que ça puisse se faire en notre absence.
Mme Bélanger: Je ne suis pas d’accord avec des commentaires qu’on entend un peu partout, mais je vais vous poser quand même la question: Qu’est-ce que vous allez répondre à ceux qui vont vous reprocher de vouloir le meilleur des mondes, soit les meilleures indemnités possible, sans le recours du système de justice?
M. Roy (Bruno): Ha, ha, ha! Bien, écoutez-moi bien, là. La seule fois, la seule fois où nous sommes allés… quand on a complété le processus judiciaire, la seule fois où nous avons complété le processus judiciaire, nous avons gagné. Malheureusement, nous n’avons pas les 50 000 000 $ de Mulroney si on veut parler de justice, là on ne les a pas. Alors, de dire qu’on va aller chercher le meilleur, d’abord, c’est faux parce qu’on ne le pense pas: le meilleur n’arrivera jamais. On le sait très bien que ce qu’on a subi est irréparable.
Ce qu’on essaie de retrouver à travers les compensations, à travers l’aide qu’on demande, c’est de retrouver une dignité. Une dignité sociale. Et ça ça ne s’évalue pas en argent. Voyez-vous?
Mme Bélanger: Vous l’évaluez comment? Sinon…
M. Roy (Bruno): Tout est relatif. Si le gouvernement nous propose un montant de compensation, on va s’asseoir à la table, puis, à un moment donné, on va sûrement s’entendre. Parce que c’est clair que le chiffre magique du milliard chiffre qui, malheureusement, au début du dossier, avait été avancé… Ça, c’est le chiffre magique du milliard. J’ai dit tantôt que je ne peux pas avancer de chiffre parce que je ne suis pas un expert, je ne suis pas un actuaire. On s’assoira à ce moment-là puis on verra. Mais je pense que c’est prémédité, pour l’instant, d’évaluer, de mettre un chiffre; ce serait risqué quant à nous.
Une chose qui est sûre, c’est qu’on ne veut pas négocier à rabais. On ne veut pas négocier à rabais, mais ça ne veut pas dire qu’on veut aller chercher le meilleur, parce que le meilleur on l’aura jamais. On ne l’aura jamais; on est bien conscients de ça.
Mme Bélanger: Merci.
Le Président (M. Paquin): Alors, du côté ministériel, il y a six autres personnes qui veulent prendre la parole et il reste 15 minutes. Il y avait un complément de réponse? Non. Ça va? Alors, le député de Drummond.
M. Jutras: Alors, madame, messieurs, moi, justement, je voudrais discuter des indemnités à être versées en tenant compte du préjudice subi, là. C’est un sérieux problème qu’on a dans ce dossier-là.
Moi, j’ai compris de la démarche du Protecteur du citoyen et de son rapport que, bon, il dit: Il faut envisager une indemnité sans égard à la faute ce qu’on appelle le «no fault» puis finalement ça revient un peu aussi à ce qu’on peut appeler un règlement hors cour, c’est-à-dire que, pour éviter des procédures judiciaires, pour éviter l’issue d’un procès qu’on ne connaît pas, on ne sait pas comment ça va finir… Parce qu’il faut quand même reconnaître que, dans vos réclamations, dans vos causes, là, il y a de sérieuses difficultés qui se présentent sur le plan juridique. Le Protecteur du citoyen en fait état, ne serait-ce que la difficulté de preuve, le fait que des témoins sont morts depuis le temps, d’autres sont aliénés, d’autres souffrent d’Alzheimer. Puis, si on parle en matière criminelle, la difficulté de faire la preuve hors de tout doute raisonnable… Mais, en tout cas, je pense qu’on reconnaît les difficultés.
Alors donc, je pense, moi, que l’esprit du rapport du Protecteur du citoyen, c’est de dire: On va indemniser sans égard à la faute et on va tenter d’en venir à un règlement hors cour en se disant il y a un dicton, en droit, qui dit: Le pire arrangement vaut mieux que le meilleur des procès. Mais, dans un cas comme ça, moi, je pense que la négociation, nécessairement, doit se faire à rabais.
(9 h 50)
Là, vous écartez ça. Vous dites: Nous autres, on ne veut pas d’une justice à rabais parce que ça serait prolonger l’injustice dont on a été victime dans notre vie. Mais là vous proposez quoi? Est-ce que vous dites: Il va falloir évaluer le préjudice que chacun de nous a subi? laissez-moi terminer, M. Roy. Est-ce que vous dites: On va l’évaluer selon les critères des tribunauxaujourd’hui? Parce que là on va se retrouver avec un fichu de problème.
M. Roy (Bruno): Ce n’est pas ça que je dis, ce n’est pas ça que je dis. D’abord, j’ai bien établi très clairement que nous sommes d’accord avec la proposition globale de Me Jacoby. Nous sommes d’accord. Ce n’est pas compliqué: nous sommes d’accord. Et je crois que c’est la seule solution réaliste.
Cela étant dit, il y a une pièce majeure dans le rapport de Jacoby, c’est l’expérience des autres provinces. Et l’expérience des autres provinces, eux, ce n’est pas à rabais. Il y a une province, c’est 38 000 000 $, je pense, pour je ne sais pas combien de personnes, 10 personnes. Nous, c’est clair, il y a un dossier qui fait que le nombre pose problème; j’en suis extrêmement conscient. J’essaie d’établir de façon objective la situation. Je vous dis qu’on peut identifier chez nous sept préjudices. C’est ça qu’on fait. Et, dans ce sens-là, je complète le rapport de Me Jacoby et je précise des choses. En aucun temps, je crois n’avoir dit que je m’opposais à la solution globale, en tout cas, je veux que ça soit clair. Au contraire, on croit à cette solution-là.
Maintenant, quand arrivera la négociation, parce qu’elle doit arriver, c’est sûr que vous allez considérer un certain nombre de choses. Moi, de mon côté, je vous dis: Voici, voici, voici. Il y a ça, ça, ça. Maintenant, on s’assoit. Mais, devant le silence actuel… Moi, je pense qu’avant de parler de négociation on veut d’abord entendre la réaction du gouvernement: on ne l’a même pas. On est encore dans le silence; on est encore dans l’attente; on est encore dans le préjudice. Il n’y a même pas d’espoir d’une solution de la part du gouvernement. Il n’intervient pas. Il n’a même pas dit: Bien, le rapport du Protecteur du citoyen, c’est une bonne piste. Il n’a même pas dit ça. Je comprends qu’il doit prendre le temps de l’analyser, mais, avec l’existence du dossier depuis un certain temps, je pense que le gouvernement est en mesure de prendre position actuellement. La négociation, ça sera autre chose, mais on veut que le gouvernement intervienne là-dedans. Le silence pour reprendre une expression d’Yvette Gascon, le «mal du silence» vous n’avez pas idée comment ça fait mal. Vous n’avez pas idée comment ça fait mal, parce que le silence maintient l’injustice à vif.
M. Jutras: Merci.
Le Président (M. Paquin): Ça va? Alors, M. le député de Rivière-du-Loup.
M. Dumont: Merci, M. le Président. Deux, trois éléments. D’abord, je vous remercie de votre participation. J’ai regardé votre mémoire, votre présentation. Vous parlez d’un comité tripartite; vous retenez l’idée en ce sens-là qui a été lancée par le Protecteur du citoyen. Mais, à la toute fin de votre mémoire, vous revenez sur un élément qui, moi, à première vue, me semble fondamental. Vous arrivez dans votre conclusion avec une série de questions et, entre autres, vous soulignez l’importance que les autorités politiques du Québec vous nommez le premier ministre, entre autres fassent une reconnaissance minimale comme l’a fait le Protecteur du citoyen. Vous le disiez en introduction: Il a donné une crédibilité à un ensemble de démarches qu’on a faites au fil des années. Je pense que vous avez raison; c’est le cas.
Est-ce que vous ne pensez pas qu’avant même la création d’un comité tripartite, avant même que des travaux se mettent en marche, comme dans le cas des grandes réparations historiques parce qu’on ne peut pas refaire l’histoire, la dérouler et la rebâtir autrement, et je pense que vous l’avez bien compris et vous parlez de corriger le passé pour prévenir en même temps ce qui pourrait arriver dans le futur… Mais est-ce que vous ne pensez pas qu’il y a une étape préliminaire, qui est une reconnaissance par les autorités gouvernementales sans dire une reconnaissance a priori de chacun des éléments qui, eux, peuvent être réétudiés par le comité tripartite, les sept grands préjudices ou catégories de préjudices au moins une reconnaissance minimale qu’il y a eu quelque chose, qu’il s’est passé quelque chose où des gens ont été victimes, que ça soit d’abord publiquement identifié pour que le comité tripartite commence à travailler sur cette base-là?
Parce que, sinon, il me semble, à mon oeil, qu’on va rester dans une espèce de flou. On va former un comité qui va se mettre à travailler, mais sans avoir a priori une reconnaissance comme celle-là. Ils vont demeurer dans une sorte de flou ce qui a rarement été le cas. Quand habituellement on a commencé à travailler sur de la réparation, on avait eu préalablement des leaders politiques qui avaient dit: Bon, il s’est passé quelque chose, on le reconnaît. Maintenant, on s’engage dans un processus de réparation de plain-pied.
M. Roy (Bruno): Je vous rappellerais que la toute première proposition du rapport de Me Jacoby, c’est celle-là, c’est une reconnaissance, et donc, ça doit passer par des excuses. Ça, c’est très clair en page 57 du document; relisez le paragraphe, c’est d’une clarté. Il faut qu’il y ait des excuses de la part du gouvernement, des communautés et des médecins.
Cela étant dit, il est vrai que, si c’est un préalable, c’est que c’est un préalable difficile parce que, à partir du moment où tout le monde reconnaît les faits, sauf les responsables globalement, le gouvernement, les communautés et les médecins c’est sûr que ça pose problème. Et la difficulté que nous avons, c’est qu’on prête flan à ce qu’on pourrait appeler une fabulation: Ils ont inventé des choses, etc. Alors, tout montre… Même dans le processus judiciaire, on reconnaissait qu’il y avait dans notre dossier apparence de droit.
Quand Me Jacoby arrive avec ce rapport-là, il donne une crédibilité à notre problème d’injustice, à nos allégations. Bien sûr qu’il faut une reconnaissance. Et, à partir du moment où il y aura cette reconnaissance du gouvernement, des communautés et des médecins, je pense que le reste va suivre. Mais ça fait longtemps qu’on l’attend, cette reconnaissance-là. Oui, complète.
M. Landry (Lucien): Peut-être une précision: ce n’est pas la première fois qu’on se pointe devant les commissions parlementaires de l’Assemblée nationale. On a, nous, récupérer une recherche que, depuis 1992, il y a eu un dépôt à l’Assemblée nationale d’une pétition demandant au gouvernement des excuses et aussi de former un groupe de travail pour un comité d’enquête. Et ça, ça remonte à 1992. En 1993, nous sommes revenus; en 1994; en 1995, et, à tous les ans, on revient.
Alors, je pense que c’est important de vous souligner que ce n’est pas la première fois, soit en commission parlementaire ou soit même à l’Assemblée nationale. Et aussi, dans notre recherche, on a pu découvrir qu’il y a certains députés du gouvernement et de l’opposition ont posé des questions et vice-versa. Je pense que la demande d’excuses et la demande d’enquête publique, ce n’est pas nouveau. Je voulais au moins attirer votre attention que ça fait depuis 5 ans.
M. Dumont: Une petite question complémentaire sur la question des délais parce que, s’il y a une chose dans cette histoire-là, ça s’est passé il y a des décennies… Il me paraît, à l’heure actuelle et la présente commission a avancé là-dessus ces dernier temps avec le travail du Protecteur du citoyen, qu’on a un contexte pour essayer de régler ça. Parce que, plus on traîne ça, finalement, c’est tourner le fer dans la plaie. Est-ce que vous avez l’impression que, dans des délais qu’on pourrait qualifier de raisonnables, on pourrait tourner une page sur une période d’histoire qui a laissé une malheureuse trace et passer à autre chose? Tourner la page là-dessus?
M. Roy (Bruno): Nous, on imagine que le gouvernement devrait annoncer ses positions pas dans un an. On imagine ça. C’est sûr que… D’ailleurs, il y a une précision, une correction à faire dans la rédaction du rapport. J’ai dit qu’il y avait l’obligation du gouvernement de répondre d’ici trois mois. En fait, c’était mon fantasme de régler le problème au plus tôt. C’est plutôt: Dès que le comité sera en place, il a trois mois pour établir le programme. Il n’y a donc pas obligation en termes de temps pour le gouvernement, mais il reste que, moralement, le gouvernement doit dans les meilleurs délais… Et, pour nous, dans les meilleurs délais, ce serait peut-être aujourd’hui. Il me semble que le gouvernement devrait annoncer quelque chose aujourd’hui, ne serait-ce que de dire: Écoutez, on a l’intention de donner suite. Mais il n’y a rien; c’est le néant.
Lucien rappelait toutes les démarches que nous avons faites. Je pense que, dans ce sens-là, ce serait peut-être la première chose… Quelle est la position du gouvernement et quand allons-nous la connaître? L’étape suivante, ce sera bien sûr la mise en place du programme. Comme je le disais tantôt, le comité multipartite pourra sûrement être extrêmement utile parce que, lui, le comité multipartite… Tout ça se base sur la médiation. Donc, pour l’instance décisionnelle, si le comité multipartite a échangé et est arrivé à un consensus, ça va être plus facile pour l’instance décisionnelle d’évaluer le tout.
Je pense qu’au fond il y a une dynamique à établir, mais je pense que la première étape de cette dynamique, c’est une position claire du gouvernement, et qu’on ignore à ce jour.
Le Président (M. Paquin): Ça va?
(10 heures)
M. Roy (Bruno): Est-ce que je pourrais… C’est parce que j’ai oublié de faire un… Je voudrais remettre un tout petit document. Dans ma réaction, j’ai très peu parlé… Parce que je parle d’exploitation économique, mais j’ai très peu parlé de la notion d’orphelin agricole. Et le vice-président, ici, a commis un petit document que je voudrais remettre pour information à la commission et, donc, l’intégrer avec la… et peut-être de permettre à Eugène de préciser rapidement ce qu’on entend par la notion d’orphelin agricole, parce que ça fait aussi partie du système.
M. Roy (Bruno): D’accord.
Le Président (M. Paquin): …une parenthèse de deux, trois minutes, là, si vous voulez le commenter tout de suite.
M. Roy (Bruno): O.K. Vas-y, Eugène.
M. Bazinet (Eugène): Dans ce dossier, il y a une catégorie d’orphelins qu’on appelle orphelins agricoles. Ceux-ci, aujourd’hui, nous désirons les mettre en évidence pour faire comprendre qu’ils ont été eux aussi exploités économiquement, sans compter les autres préjudices, tels que la violence physique et les abus sexuels.
Nous tenons à rappeler qu’ils étaient dirigés vers des fermes par des services d’adoption financés par l’Église. Ils étaient choisis comme des animaux: on optait pour les plus forts. Soulignons que ce service était organisé et administré par les membres du clergé assistés par des représentantes des communautés religieuses. À cet égard, ces enfants étaient sous la responsabilité du système que nous avons si longtemps dénoncé.
La majorité d’entre eux ont été exploités de façon inhumaine. Non scolarisés, ils avaient entre 10 et 15 ans. Ils travaillaient de 12 à 16 heures et plus par jour. Ils étaient mal nourris et couchaient dans des étables. Ils étaient engagés comme des esclaves et ils ne pouvaient espérer un jour devenir propriétaires de la ferme, car ils étaient exclus de la famille. Épuisés, sans un sou, certains s’évadaient pour retourner à l’institution à laquelle ils étaient attachés. D’autres demandaient d’être transférés dans d’autres endroits, en espérant qu’ils seraient mieux traités et considérés, où ils auraient pu recevoir une instruction adéquate.
Humainement et socialement, peut-on les exclure du dossier? Nous croyons que la réponse est non. Nous faisons confiance au bon sens de l’équité et de la justice. Ce n’est pas parce que ce groupe se dit «orphelins agricoles» que nous devons les oublier. Avant leur séjour à la ferme, ils étaient quand même des enfants ayant été internés dans différentes institutions, telles que le Mont-Providence, Huberdeau et autres. Alors, je voudrais qu’on attache une importance à cette catégorie de personnes là aussi.
Le Président (M. Paquin): Alors, M. le Président de la commission des institutions et député de Bonaventure.
M. Landry (Bonaventure): Merci, M. le Président. Alors, M. Roy, vous soulignez, je pense, à juste titre, l’anxiété, en quelque sorte, par rapport à des délais en regard d’une prise de position officielle de l’État, et tout ça. En même temps, je dois vous signaler comme président de la commission, qu’il m’aurait paru pour le moins indélicat envers vous et aussi envers la démarche que nous avons amorcée avec le Protecteur du citoyen… d’abord de vous entendre avant de donner des réponses à des questions ou à des interrogations qu’on pouvait se poser et que vous pouviez nous poser. Et je crois que, oui, il y a un travail important pour que les choses avancent et qu’elles avancent rapidement. En même temps, il me préoccupait que nous ne bafouions pas non plus la possibilité de vous entendre.
Alors, je tenais à amener cette précision-là, et je pense qu’il est très éclairant que nous puissions d’abord vous entendre avant de procéder à des processus de recommandations auprès de l’Assemblée nationale et auprès du gouvernement, le cas échéant.
Maintenant, il y a un aspect de votre rapport, moi, qu’il m’aurait été très intéressant de connaître. Vous parlez d’une question d’indemnisation, là-dedans. Je comprends, quand on sait la situation socioéconomique de beaucoup des orphelins et orphelines de Duplessis. Maintenant, lorsqu’on parle de problèmes, entre autres d’analphabétisme ou de manque d’instruction, qu’on parle aussi de séquelles psychosociales, et tout ça, vous faites peu référence à des réparations en ce sens-là. Vous savez fort bien qu’il existe aussi, au Québec, des groupes d’alphabétisation, des groupes d’éducation populaire en quelque sorte, vous pourriez même l’être, par groupes et sous-groupes, auprès de vos membres et cette dimension-là, vous n’en parlez pas. Est-ce qu’il n’y aurait pas, là aussi, un travail important de réparation à faire pour donner la chance aux gens de pouvoir améliorer leur sort aussi?
M. Roy (Bruno): Je n’en parle pas parce que, là où c’était évident dans le rapport de Me Jacoby et dans nos propres documents à nous, je n’ai pas répété la chose. J’en ai déjà parlé de ça et je crois que c’est extrêmement important et qu’effectivement ce n’est pas exclusivement une question d’argent. Mais, en même temps, il faut bien voir que, quand les gens sont rendus à 50 ans, presque 60 ans, il y a des aides qui sont peut-être, hélas! périmées, c’est-à-dire qu’elles ne serviraient à rien. Je pense que là il faut répondre à des besoins précis, et c’est une dimension. Mais là c’est des besoins qui vont s’exprimer selon les individus et ça peut varier selon les individus, d’une part.
Et, si je me suis attardé aux questions de la compensation, c’était davantage pour préciser la piste que Me Jacoby mettait de l’avant, non pas pour éliminer les services dont on avait déjà de toute façon parlé. C’est l’esprit dans lequel on a ciblé, en fait, les compensations.
M. Landry (Bonaventure): Mais, cette dimension-là, elle mérite aussi d’être largement considérée.
M. Roy (Bruno): Oui, oui. Oui, on ne l’a jamais éliminée. D’ailleurs, on a un volet chez nous qui est le volet communautaire, et ce volet communautaire a surgi précisément de la conscience que nous avons eue des besoins qui s’exprimaient. Et c’est clair que ça… Et, pour moi, le comité de soutien dont parle Me Jacoby va dans ce sens-là. Il va dans ce sens-là, et c’est pourquoi je… Comme on était d’accord et qu’on n’avait rien à préciser parce que là les choses pour nous étaient claires, on n’a donc pas surenchéri. Je rappelle qu’on a voulu préciser des choses plutôt que d’en éliminer.
M. Landry (Bonaventure): Oui. Donc, ces aspects-là, en termes d’actions gouvernementales ou en termes d’actions des services publics, devraient être pris en considération, par exemple des possibilités d’alphabétisation, du support aussi psychosocial, le cas échéant…
M. Roy (Bruno): Prenons l’exemple de l’alphabétisation. Nous avons une personne qui a 57 ans. Toute sa vie, elle a été dans une espèce de «nowhere», si vous me permettez l’expression anglaise, je ne suis pas sûr que lui ressente ça comme un besoin. Je pense qu’il ne faut pas imposer une solution dont l’individu n’a pas besoin. Là, il faut faire attention là-dessus. Et, si on devait aller dans ce sens-là, on va compenser ça, mais, dans le fond, ça n’a pas d’incidence dans la réalité, ça demeure théorique. C’est dans ce sens-là qu’il y a un équilibre à faire, d’où le comité multipartite. Ça, ça va être le genre de chose dont on va parler. Je rappelle que ce n’est pas exclus, mais il va falloir l’évaluer, ça, pour ne pas imposer des services que les gens ne veulent pas, hein.
M. Landry (Bonaventure): Non, mais, encore…
M. Roy (Bruno): C’est important, cela.
Le Président (M. Paquin): Complément de réponse, M. Landry?
M. Landry (Lucien): Oui, seulement pour ajouter que, depuis trois ans aussi, le Comité des orphelins, comme notre président l’a souligné, reçoit aussi, dans le cadre des subventions aux organismes bénévoles et communautaires, un support très peu. En passant, on tient à le souligner, grâce à la générosité d’une contribution personnelle de chaque député qu’on reçoit, le Comité aussi reçoit du support financier. Exemple, dans le cadre d’une subvention d’un député qui nous accorde son montant de député de son comté, on fait, nous, une demande.
Mais c’est clair que, nous aussi, le Comité, dans le cadre des organismes communautaires, on avait envisagé de venir en aide sporadiquement immédiatement aux orphelins. On fait appel à des ressources avec le réseau de la santé, les CLSC, les hôpitaux, les services sociaux, les centres communautaires et toutes sortes d’organismes pour résoudre immédiatement le support d’aide à apporter aux orphelins. Parce que, si on attend, puis on attend… On s’est comme pris en main et on a assez d’initiative de travailler avec le réseau, de travailler en partenariat.
M. Landry (Bonaventure): Ma préoccupation, vous le comprendrez, était de nous assurer que les services vous soient accessibles et soient accessibles à l’ensemble de ceux qui peuvent en manifester le besoin. Je pense que ça, c’est une dimension importante.
M. Roy (Bruno): Oui, je pense qu’au niveau de l’esprit on s’entend très bien.
M. Landry (Bonaventure): Parfait.
Le Président (M. Paquin): Alors, il reste… Oui, Mme Gascon.
Mme Gascon (Yvette): Oui, bonjour. Je voudrais répondre à M. Dumont, à ce qu’il a dit tout à l’heure. D’après ce que j’ai cru entendre que, si ça se règle dans les plus brefs délais, de tourner la page je regrette. On ne pourra pas tourner la page si vite parce que, nous, on est blessés, là. Il y a d’autres choses qu’on voudrait: la correction de notre dossier. Ça nous suit partout, puis ça nous fait mal. Moi, je suis autonome, je travaille parmi les malades en phase terminale puis j’ai un faux dossier de débilité mentale profonde, où c’est marqué «arriéré, idiot». Je voudrais que ça s’efface de mon dossier. Ça me suit partout, puis j’ai honte de ça.
M. Dumont: C’est ce que j’appelle tourner la page. En tout cas, là…
(10 h 10)
Mme Gascon (Yvette): Oui, mais je voudrais que ça se fasse avant de tourner la page.
M. Roy (Bruno): Pour tourner la page, il faudra tenir compte des propositions qu’on a faites. Je pense que cette dimension-là est dans les propositions. On imagine qu’une fois qu’on aura reconnu le tort la première chose qu’on va faire, c’est qu’on va corriger les dossiers et qu’on trouvera les moyens de les corriger, j’imagine.
M. Landry (Lucien): Il y a seulement un point important qu’on voudrait peut-être souligner aussi. On sait que le gouvernement s’apprête actuellement à instaurer le système qu’on appelle, pour nous, de carte d’identité. C’est un très bel objectif; on trouve ça très intéressant. Mais, avant de commencer à s’occuper de la carte d’identité, il va falloir que le gouvernement revienne aux dossiers des orphelins, dont leurs antécédents sociobiologiques. Ils ont un exemple des problèmes d’identification à cause de faux diagnostics, à cause de faux noms. On a des dossiers d’orphelins qu’on traite avec l’état civil, et c’est hallucinant de voir les problèmes qu’on rencontre par rapport à ouvrir des dossiers à ce niveau-là.
Mais il faut vous dire, M. le Président, que le Comité travaille d’arrache-pied avec les centres des services sociaux et le Bureau de l’état civil pour régulariser ces situations-là, et ce, à moindre coût parce qu’il y a certaines mesures à l’état civil, il faut judiciariser certaines mesures. On a fait des démarches auprès du bureau de M. Boisclair pour justement enclencher des mécanismes de travail, de collaboration pour éviter qu’à l’État ça coûte des sous.
Le Président (M. Paquin): Alors, il reste à peu près deux minutes de ce côté-là de la Chambre, 2 min 40 s de l’autre côté. Si on était d’accord pour convenir qu’on pourrait faire une prolongation, je pense que le sujet n’est pas épuisé, je suggérerais… Donc, il y a deux députés de ce côté-là qui voudraient prendre la parole. Vous avez pris la parole sept minutes et demie. Donc, si on donnait 15 minutes de chaque côté pour compléter, est-ce qu’il y aurait consentement?
Une voix: Oui.
Le Président (M. Paquin): Alors, puisqu’il y a consentement, la parole est au député de l’Acadie.
M. Bordeleau: Je vous remercie, M. le Président. Alors, bienvenue, M. Roy et les personnes qui vous accompagnent. Moi, bon, je voudrais juste saisir le contexte dans lequel, disons, on se situe concernant votre représentation et aussi le rapport qui nous a été présenté par le Protecteur du citoyen.
Je pense à votre organisme comme tel. J’aimerais juste que vous m’expliquiez un petit peu… Bon. Ce que je comprends, c’est que ça a été fondé dans les années 1992. Quel est l’objectif précis du comité, le mandat que vous vous êtes donné? Quelle est la représentation du comité exactement? Vous représentez qui? Quel mandat vous avez, de qui, pour…
M. Roy (Bruno): Nous avons des statuts, là…
M. Landry (Lucien): Alors, M. le Président…
M. Roy (Bruno): Non, non. Un instant, un instant, un instant, là. Je veux juste signaler que nous avons des statuts qui nous définissent très bien et, en fait, c’est pour répondre à deux choses. Le premier volet… Si on regarde l’évolution de notre groupe, c’est qu’une des premières manifestations lorsque le groupe s’est fait connaître, c’était pour obtenir justice, c’était, de façon très naïve, de demander des excuses et ça n’allait pas plus loin. Devant le refus des excuses, là, les positions se sont comme radicalisées.
Mais, en même temps qu’on faisait cette démarche-là, on a découvert qu’il y avait des besoins énormes pour ce groupe et on a ajouté un volet plus communautaire, voyez-vous, donc il y avait deux… Un, c’était d’obtenir justice compte tenu du passé, mais en même temps on ne pouvait pas laisser les problèmes dont on était témoins, les laisser comme ça. Il fallait donc créer un service d’aide, et c’est ce que nous avons fait.
Si on regarde l’évolution de notre dossier, c’est qu’au niveau du recours collectif les choses ont été rejetées au niveau de la forme, pas au niveau du contenu. Je rappelle qu’il n’y a aucun juge qui a nié l’apparence de droit. Ils ont juste dit: La manière dont vous vous y prenez n’est pas la bonne; c’est ça qu’ils ont dit. Donc, on a fait une réflexion et là on a rencontré Me Jacoby. On lui a dit: Écoutez, on a un problème d’accès à la justice, comment on peut régler ça? Alors, Me Jacoby a produit le rapport que vous avez devant vous, et, si nous sommes ici aujourd’hui, c’est pour réagir à ce rapport et dire que dans les grandes lignes nous sommes tout à fait d’accord et nous voulons ajouter des précisions. C’est ça essentiellement, le sens de notre démarche.
M. Bordeleau: Ça va, au niveau du mandat. C’est clair, le mandat que vous vous êtes donné. Maintenant, au niveau de la représentation, on parle de combien de personnes au niveau des orphelins de Duplessis?
M. Roy (Bruno): Si on parle du membership, ça peut se situer… ça varie selon les années parce que, pour être membre, ça coûte 10 $, mais, vous savez, il y a des gens, très souvent, ils ne l’ont pas. L’effort qu’il faut faire pour aller chercher ce 10 $ est incroyable. Alors, actuellement, on est autour de 160; ça augmente, ça baisse, ça augmente.
Il y a un pourcentage énorme qui ne veulent pas faire partie du groupe parce qu’ils ne se sont jamais identifiés comme tels. Et ça, c’est une dynamique quand même importante. On évalue le nombre à 2 500, 3 000 de potentiellement… Dans les années cinquante, on parlait de 12 000 orphelins, mais ils ne sont pas tous allés à l’asile, on se comprend. Et donc, actuellement, nous, ça tourne autour de 2 500, 3 000, certains avancent 5 000, mais, comme on n’a pas accès aux archives, c’est très difficile de donner un chiffre précis. Mais c’est ça.
M. Bordeleau: Est-ce qu’il existe d’autres organismes ou d’autres associations qui regroupent la même clientèle que vous avez, au fond, les mêmes catégories de personnes?
M. Roy (Bruno): Il y en a un, qui, lui, date depuis longtemps et qui est exclusivement communautaire, qui, au début, s’appelait Les Marronniers puis ensuite qui est devenu Les compagnons de Montréal. Il y a eux qui s’occupent de façon très précise des déficients, O.K.? Et donc, c’est une entité tout à fait distincte, et eux servent des gens qui ne sont pas nécessairement techniquement des orphelins de Duplessis, c’est beaucoup plus large. Mais dans ce groupe se trouvent, effectivement, des anciens du Mont-Providence ou de certains asiles.
M. Bordeleau: Le Protecteur du citoyen, dans son rapport, fait référence à ce qu’il appelle ici l’Association des orphelins du Québec d’avant 1964. C’est quoi, cet organisme-là?
M. Roy (Bruno): Oui. C’est que ce groupe-là s’est fusionné avec nous. Il n’existe plus au moment où on se parle, ce groupe-là. Mais je pense que Me Jacoby faisait l’historique, au fonds, des tentatives de regroupement. Je pense que celui qui, entre guillemets, a réussi, c’est le COOID.
M. Bordeleau: O.K. Alors, il existe actuellement, si je comprends bien, présentement, deux groupes: le vôtre et celui auquel vous avez fait référence, qui avait un volet communautaire.
M. Roy (Bruno): Oui, celui auquel j’ai fait référence est beaucoup plus large que les orphelins de Duplessis. Les Compagnons, auxquels je faisais référence, ce n’est pas spécifiquement les orphelins de Duplessis, bien qu’il en comprenne. C’est deux entités différentes; c’est vraiment très différent. Le principal groupe, en fait, c’est le COOID. Parallèlement, il y a ce service communautaire, ce groupe communautaire, si je pourrais dire, qui s’appelle les Compagnons et qui effectivement comprend des orphelins de Duplessis.
M. Bordeleau: O.K. Au niveau… Tout à l’heure, vous avez référence à un certain nombre de personnes qui n’avaient pas voulu, en tout cas, pas nécessairement qui ne vous appuyaient pas, mais qui ne faisaient pas partie de votre groupe parce qu’ils n’avaient pas voulu s’identifier. S’identifier à quoi? S’identifier à la démarche que vous avez entreprise, mettons, pour arriver à une solution du problème? Ou s’identifier comme…
M. Roy (Bruno): Si vous saviez le nombre de téléphones qu’on reçoit depuis que Me Jacoby a fait paraître son rapport! Curieusement, les gens commencent à s’y intéresser. Vous savez, il y a une psychologie extrêmement importante qu’il faut comprendre. Quand un individu a bâti sa vie et n’a même pas dit à sa conjointe ou à son conjoint son passé et que là, soudainement, il voit une possibilité de réparation… Et là lui-même est en conflit: Est-ce qu’il révèle ou il ne révèle pas? C’est une décision qui va lui appartenir.
Mais c’est évident que la parution du rapport de Jacoby crée une dynamique tout à fait particulière pour ces gens-là, et ils sont beaucoup plus nombreux que ceux qui ont parlé et que ceux qui se sont manifestés. Vous savez, moi, personnellement, je m’en suis drôlement sorti, et ce n’est que depuis cinq, six ans que c’est connu publiquement. J’ai caché ça longtemps. J’avais moi-même… Et pourtant j’avais les moyens intellectuels d’assumer mon propre destin parce que j’avais le langage. Mais ceux dont on parle n’ont pas le langage, très souvent, et ils doivent, en plus, assumer leur destin. C’est quelque chose, là; on est dans une psychologie tout à fait particulière. C’est pourquoi, moi, je comprends ces gens-là qui ne se manifestent pas. Mai, de là à dire qu’ils sont contre, je ne pense pas, je ne pense pas.
Le Président (M. Paquin): Ça va?
M. Bazinet (Eugène): Il faut dire, aussi, que plusieurs de ces gens-là travaillent aussi pour des communautés religieuses, donc ils n’osent pas s’ouvrir actuellement. Ils sont discrets, ils sont silencieux; ils attendent le bon moment, comme on dit.
(10 h 20)
Mme Gascon (Yvette): Je vais vous donner un exemple. Moi, autrefois, jamais j’en aurais parlé, jamais au grand jamais, j’avais honte de ça. Si j’en ai parlé ouvertement, c’était pour trouver mes origines, que j’ai trouvées aujourd’hui. Par la suite, j’ai continué, j’ai embarqué dans le Comité des orphelins, mais, si ça n’avait pas été de mes origines, jamais, jamais on aurait su que je venais de l’asile. J’avais honte de ça puis j’avais honte de moi, même si ce n’était pas de ma faute. Parce que j’étais une enfant illégitime, on m’a étiquetée faussement «débile mentale». C’est vraiment injuste.
Le Président (M. Paquin): Ça va?
M. Bordeleau: Ça va.
Le Président (M. Paquin): Alors, pour se partager le 15 minutes, du côté ministériel, il y a le député de Gaspé, de Fabre, de La Prairie, de Pointe-aux-Trembles. Alors, le député de Gaspé.
M. Lelièvre: Merci, M. le Président. Je vais être assez bref, mais je vais vous dire également que j’ai pris connaissance en profondeur de votre mémoire et je prends note des divergences, des concordances, des mêmes orientations que vous avez avec le Protecteur du citoyen; même, au besoin, vous complétez des accords particuliers sur la question de maladie mentale et des connaissances médicales de l’époque.
Moi, ce qui m’intéresse, c’est le volet particulier de la double indemnité, individuelle et collective, et les services connexes qui peuvent être mis en place par l’indemnité collective. Les reliez-vous au comité de soutien? J’essaie de rattacher tout ça…
M. Roy (Bruno): Possiblement.
M. Lelièvre: …et de voir, bon, le comité de soutien va avoir une existence qui va perdurer même après un éventuel règlement, s’il a lieu.
M. Roy (Bruno): C’est ça. Ce comité-là pourra être défini sur la base du comité multipartite; il s’agit de trouver une formule. Actuellement, il existe un comité de soutien qui s’appelle le COOID, mais c’est clair qu’avec les moyens que nous avons il va falloir amplifier ça. Le comité multipartite, dans l’ensemble déjà, c’est peut-être une assise intéressante, et on va la structurer, on va la consolider du point de vue communautaire, et les services qu’on pourra offrir seront particuliers à notre groupe.
C’est peut-être une autre instance tout à fait indépendante du comité, je veux dire, c’est à évaluer. Mais je pense… Ce que j’aime du rapport du Protecteur, c’est l’idée du comité de soutien qui nous apparaît extrêmement importante, et c’est un élément de la solution, c’est un élément intégrant de la solution parce qu’il va constituer une démarche qui risque d’aller dans le sens de répondre aux besoins des gens.
M. Lelièvre: Donc, vous le voyez comme un préalable, éventuellement, à la mise en place du comité multipartite.
M. Roy (Bruno): Préalable ou parallèle, je ne sais pas, là… Parallèle.
M. Lelièvre: S’il existait par lui-même parce qu’on voit qu’il y a une difficulté de preuve…
M. Roy (Bruno): Oui.
M. Lelièvre: …la preuve vraisemblable que vous mentionnez là-dedans donc, à ce moment-là… le comité d’évaluation, avoir recours à des méthodes de preuve que vous dites non traditionnelles. Mais l’affidavit, c’est déjà reconnu devant les tribunaux.
M. Roy (Bruno): Oui, oui. C’est l’idée de corroboration, là.
M. Lelièvre: Voilà. Et je pense… J’essaie de voir la mécanique qui pourrait évaluer à l’interne, parce que vous voulez être présents également…
M. Roy (Bruno): Mais la mécanique…
M. Lelièvre: …puis vous trouvez difficile d’être juge et partie…
M. Roy (Bruno): Non, pour l’évaluation, on ne veut pas être présents. Ce qu’on dit, c’est qu’il faut une instance indépendante. Ça n’exclut pas que toutes les parties se réunissent à une même table et discutent de cette dynamique, de cette problématique. Mais ce n’est pas ce comité multipartite qui va décider qu’un tel, sa demande est acceptable ou pas; ça va être un comité indépendant. Il pourra être fortement inspiré de ce comité-là, mais on ne veut pas que les gens qui ont été la cause de tout cela soient, en bout de ligne, ceux qui vont décider. Je pense que, là, c’est une question de transparence.
M. Lelièvre: Cet aspect-là, je le comprends. Vous les avez écartés, les communautés religieuses, l’État, le corps médical. Vous les avez écartés.
M. Roy (Bruno): Oui, oui.
M. Lelièvre: Votre participation dans tout ça, c’est dans la préparation, le montage du dossier, la…
M. Roy (Bruno): Nous, on va accompagner les gens, parce que présumons que le gouvernement propose un programme d’indemnisation. Il y a donc une mise en place, et les gens doivent faire leurs propres démarches, ils doivent faire une demande d’indemnisation, peu importe le montant. Ce qu’on nous dit, c’est que ces gens-là, à 50 %, 60 % et peut-être 70 %, ils ont besoin d’accompagnement. Seuls, ils ne pourront pas le faire.
M. Lelièvre: Donc, à l’heure actuelle, vous connaissez un nombre approximatif, le ministère de la Justice en connaîtrait un nombre approximatif selon le rapport du comité du Protecteur du citoyen, et, pour la plupart d’entre eux, le dossier ne serait même pas ouvert, même pas prêt, même pas monté, pas d’éléments de preuve de ramassés. C’est ça que je dois comprendre de ce que vous nous dites aujourd’hui dans votre rapport?
M. Roy (Bruno): Je vais vous donner un exemple concret. Il y a des gens qui ne se sont pas manifestés, mais qui ont vécu à Saint-Jean-de-Dieu ou au Mont-Providence. C’est clair que le seul fait d’avoir vécu au Mont-Providence ou à Saint-Jean-de-Dieu, ils ont été étiquetés. C’est clair. Donc, cette logique-là devrait permettre: Écoutez, lui, on accepte, disons, une compensation pour ce critère-là suite à cette logique-là. Bien sûr que, minimalement, si on pouvait avoir accès aux dossiers j’imagine qu’on pourrait l’avoir, il devait exister des listes, à l’époque… On peut facilement comparer. Lui, il prétend avoir été au Mont-Providence; il s’agit de vérifier de quelle année à quelle année. Ça, je pense que c’est une question administrative, et l’accès aux archives permettrait ce genre se chose.
M. Lelièvre: Au comité de soutien.
M. Roy (Bruno): Voilà. Cela suppose, ainsi que le Protecteur le disait, la collaboration des autres groupes…
M. Lelièvre: Merci.
M. Roy (Bruno): …et du gouvernement, et des communautés, et même des médecins.
Le Président (M. Paquin): Merci. Alors, il reste sept minutes et demie de votre côté, et deux députés qui veulent prendre la parole. M. le député de Chomedey.
M. Mulcair: Merci, M. le Président. Alors, M. Roy et ceux qui vous accompagnent, à nouveau, bienvenue; on a déjà eu l’occasion de se rencontrer dans cette commission parlementaire. Ma première question s’adresse à vous, M. Roy: Ai-je bien compris tout à l’heure que vous avez parlé, dans le cadre des excuses, vous avez aussi mentionné je l’ai pris dans mes notes, mais je ne le vois pas dans votre mémoire vous avez parlé d’une enquête publique, de la nécessité d’une…
M. Roy (Bruno): Non, on a déjà fait une demande d’enquête publique, qui n’a pas été retenue, là, peu importe; historiquement, on a déjà fait une demande d’enquête publique, mais il n’y a pas eu de résultat.
M. Mulcair: O.K.
M. Roy (Bruno): En 1992.
M. Mulcair: Je me tournerais tout de suite vers un autre sujet que vous venez d’ajouter aujourd’hui et que je trouve fort intéressant. C’est M. Bazinet, tantôt, je crois, qui nous a déposé le court document sur les orphelins agricoles. À mon sens, ça ouvre la porte sur la partie la plus cruciale de la conversation, puis chacun sa déformation professionnelle, mais, en face, mes deux collègues avocats ont posé un peu les mêmes questions que j’ai concernant: Comment on pourrait gérer la preuve dans tout ça? Votre document donne certaines pistes de solution, mais on s’oriente de plus en plus vers probablement un affidavit, une déclaration solennelle comme quoi ça s’est passé, parce que la détention même des dossiers, des preuves ne relève pas nécessairement des personnes.
Mais je prends l’exemple de ce qui a été déposé par M. Bazinet tantôt pour expliquer à quel point je trouve qu’on est sur du terrain glissant lorsqu’on s’embarque là-dedans, puis j’aimerais que vous nous aidiez avec ça. Parce que, dans le document je citerai juste une ou deux phrases on parle des orphelins agricoles: «Ils étaient mal nourris, ils couchaient dans des étables, ils étaient engagés comme des esclaves.» Il n’y a aucune raison de douter de ce que nous dit M. Bazinet dans ce papier-là. Par contre, je suis intuitivement d’avis qu’il doit bien y avoir des gens qui ont fait ce travail-là qui ont trouvé des familles correctes.
M. Roy (Bruno): Oui.
M. Mulcair: Alors, ça pose tout le problème de la preuve. Si quelqu’un se dit orphelin agricole et qu’il veut… Justement, vous dites, dans votre document: Il ne faudrait pas les exclure du dossier. Soit. Mais comment amener une preuve adéquate, 30 ans, 40 ans plus tard, de qui a subi ce qui est décrit dans le document de M. Bazinet et qui pourrait… en se disant: Écoutez, c’est possible, maintenant; je signe un papier puis je vais chercher ces sous-là. Comment est-ce que c’est gérable, ça, sur le plan pratique?
M. Roy (Bruno): Le premier élément de réponse que je vous donnerais, c’est que ce complément d’information se situe dans le préjudice «perte économique», d’une part. Donc, c’est pour faire comprendre la dynamique dans laquelle on était.
Quant à l’évaluation elle-même, je pense que, un peu comme pour les autres préjudices, il va falloir en discuter. Nous, ce qu’on apporte aujourd’hui, c’est des informations et on essaiera d’évaluer. C’est sûr que, à un moment donné et le même problème se pose pour les agressions sexuelles, les sévices de violence physique on est dans la même dynamique. C’est pourquoi ce que Me Jacoby propose, c’est sans égard à la faute. Attendu les témoignages d’affidavits, de corroboration. Au fond, il s’agit de donner une vraisemblance à tout ça. La première vraisemblance, c’est qu’on pourra vérifier si c’était effectivement la ferme… tu sais, il y a des informations minimales.
Quant à la quantification, ça, effectivement… mais on a le même problème avec les agressions sexuelles: Comment quantifier ça, hein? Moi, personnellement, j’ai été attouché, je n’ai pas été sodomisé. Est-ce que ça s’évalue, ça? Je ne le sais pas. Voyez-vous? Et c’est sûr que, quand viendra le temps d’en discuter, je pense que là il y aura des discussions qui vont permettre un éclairage.
Là, ce qu’on fait aujourd’hui, c’est qu’on n’est moins préoccupés par comment on va le faire que d’aller chercher cette volonté de le faire qui commence par des excuses, voyez-vous? Après ça, je pense qu’on pourra essayer de se comprendre. Et on est tout à fait conscients, nous, on n’est pas irréalistes, on est très conscients des problèmes que cela pose. On l’est tout à fait. Et, dans le rapport de Me Jacoby, ça va exactement dans le même sens. D’ailleurs, la solution est sans égard à la faute, c’est précisément pour contrer ça. Mais, en même temps, il faut qu’il y ait une preuve minimale de vraisemblance. Bon, comment on l’établit? Cette minimalité de la vraisemblance, elle est effectivement parfois problématique: Comment on va faire? Mais on est d’accord, et on le dit dans le rapport: il faut absolument baliser parce que n’importe qui va pouvoir demander quelque chose, là. Il faut baliser, on est d’accord. Dans le comment, je pense qu’il y a une réflexion à faire.
M. Mulcair: Merci.
M. Landry (Lucien): Il y a peut-être une…
Une voix: Prends donc ma place, s’il te plaît.
(10 h 30)
M. Landry (Lucien): Il y a sûrement une piste d’information que nous… Il y a beaucoup d’orphelins qui ont fait des démarches pour aller chercher leur propre dossier de recherche d’antécédents sociobiologiques par les centres de services sociaux, et, à l’intérieur de ces dossiers-là, il y a certains éléments d’information de placement chez des cultivateurs, et même les montants qu’ils ont gagnés. Ça, c’est quelques éléments d’information qu’on a.
Le Président (M. Paquin): M. le député de Fabre.
M. Facal: Merci, M. le Président. En raison du peu de temps qui nous reste, j’essaierai d’aller à l’essentiel. M. Roy, je vous suis largement en ce qui a trait aux excuses publiques qui vous sont dues et je n’ai non plus aucune difficulté avec la véracité des faits que vous invoquez. Je m’en tiendrai simplement à la question de l’indemnisation.
Dans un aparté tout à l’heure, vous avez dit: 2 500 personnes à 300 000 $, je comprends que ça fasse réfléchir le gouvernement. J’ai rapidement calculé que ça fait, à moins que je ne me sois trompé dans mes zéros, 750 000 000 $. En effet, ça fait réfléchir. J’ai été, par contre, rassuré quand j’ai vu vos propositions 10 et 11 à la page 23 de votre mémoire, où vous dites: «Les gouvernements provincial et fédéral, les communautés religieuses et le corps médical contribueraient au fonds d’indemnisation selon des proportions qu’elles doivent négocier.»
Par contre, en lisant cela, il m’est venu un raisonnement que je voudrais vous soumettre, et vous me direz si vous le trouvez vraisemblable ou si vraiment, à votre avis, j’erre complètement. Il m’apparaît qu’il est peu vraisemblable de penser, pour les raisons que vous connaissez, que le corps médical et les communautés religieuses accepteraient de s’asseoir pour négocier cela, craignant que, simplement en s’assoyant, la soutane y passe au plan financier. Et, en ce sens-là, je me dis: Si, par contre, l’État cherchait à leur imposer une participation financière, ils traîneraient l’État en cour et vous en auriez pour des années. Ce qui risque donc d’arriver, c’est plutôt 11: «Tout débat ou désaccord ne devrait en aucune façon servir de prétexte à l’État pour retarder la mise en place de son programme d’indemnisation.» Donc, dans la vraie vie, je crois que ce qui risque d’arriver, c’est que l’État ramasserait seul la facture et les deux autres entités responsables, elles, se défileraient au plan financier. C’est ce qui risque d’arriver. Est-ce que ce que je dis est vraisemblable?
M. Roy (Bruno): Hélas!
Des voix: Ha, ha, ha!
M. Roy (Bruno): Mais j’ajoute tout de suite qu’un gouvernement c’est fait pour gouverner…
M. Facal: Oui, absolument.
M. Roy (Bruno): …pour prendre des décisions et que, si le gouvernement devait considérer qu’il y a une nécessité… Je pense que c’est la semaine dernière qu’il y a eu… le Fonds de protection des médecins, c’était au-delà de 1 000 000 000 $, dans les journaux, la semaine dernière, hein? En cas de poursuite, là, il y a un fonds de protection d’au-delà de 1 000 000 000 $. Quand on sait ce que les Soeurs du Bon-Pasteur actuellement… D’ailleurs, ce soir même, il y aura au Point beaucoup d’information là-dessus concernant, donc, les… Le 1 000 000 000 $ est ici, là.
Nous, ce qu’on dit et ce qu’on pense, c’est qu’effectivement le gouvernement ne doit pas assumer seul. Et, quand je parle du gouvernement, il y a donc le gouvernement provincial, et le gouvernement fédéral doit, à ce moment-là… Et d’ailleurs, dans tous les autres dossiers de même nature, le gouvernement fédéral est intervenu. Quand on prend, par exemple, le Saguenay, pour prendre le dernier exemple, le fédéral a fait sa part. Je pense qu’il serait logique que le fédéral fasse sa part, d’autant qu’il est partie prenante dans ce dossier-là, historiquement, d’une part.
Les communautés religieuses, je pense que c’est à évaluer. Moi, je souhaite qu’elles proposent elles-mêmes de participer. Mais je suis encore naïf, hein? J’ai été éduqué par elles, donc je suis encore naïf. Mais, si le gouvernement devait juger que l’apport des communautés religieuses est nécessaire, je pense que le gouvernement a les moyens. Et, à la limite, pour aller directement dans la logique que vous proposez, le gouvernement avance les fonds et s’arrange pour les récupérer après.
M. Facal: Quand vous dites que le gouvernement aurait les moyens, à quoi faites-vous référence? De quelle façon le gouvernement forcerait…
M. Roy (Bruno): Bien oui, une loi. Voyons donc! On sait que les communautés religieuses ont des chartes, et ça peut être changé, ça. Bon. Je pense que le gouvernement a les moyens d’obtenir ce qu’il veut, attendu qu’il le fait dans le respect de la démocratie et des lois existantes, on s’entend.
M. Facal: Et, dans le cas des médecins, vous seriez prêts à envisager que l’État impose, par voie législative, au corps médical d’affecter une partie de ce fonds d’indemnisation à une réparation qui vous serait faite.
M. Roy (Bruno): C’est une hypothèse de travail. Ce n’est peut-être pas la bonne, en passant, je ne le sais pas. Mais je pense qu’il faut tout envisager. Et, devant des responsabilités aussi énormes, comme je le disais… Ils étaient là au début, pourquoi ils ne seraient pas là à la fin? Il y a une logique. Je pense que ce qui serait souhaitable et c’est ça que permettrait peut-être le comité multipartite entre autres, c’est qu’on se parle entre nous. On ne s’est jamais parlé entre nous.
Moi, je sais, je suis celui qui n’est pas reconnaissant pour avoir reçu ce qu’il a reçu. L’auriez-vous été, vous? Hein? Bon. C’est sûr que, si on était à une même table, ce serait peut-être facile plus facile, en tout cas de s’expliquer minimalement et peut-être d’envisager des hypothèses. Peut-être qu’il y a d’autres hypothèses. Ce que je dis, c’est que le gouvernement doit assumer l’injustice et trouver les moyens de réparer cette injustice-là, quitte à avancer les fonds et ensuite à prendre les moyens pour les récupérer. Ça s’est fait… combien on a d’exemples de ça?
Le Président (M. Paquin): Mme la députée de La Pinière, pour deux minutes. Je serai un peu tolérant.
Mme Houda-Pepin: Très bien. Merci, M. le Président. Moi, j’ai été profondément touchée par les témoignages ainsi que les mémoires que vous nous avez présentés. Je crois que vous déterrez une page d’histoire du Québec qui n’est pas très rose et ça nous sensibilise beaucoup. Tantôt, dans vos commentaires, vous avez dit qu’il y a beaucoup d’orphelins de Duplessis qui n’osent pas s’exprimer, qui n’osent pas venir sur la place publique. Je comprends, c’est douloureux comme vécu et, dans une certaine mesure, pour certaines personnes, c’est honteux de s’afficher publiquement. Alors, je vous félicite pour votre courage, d’avoir pris la pôle et d’avoir tenté de mener ce combat qui n’est pas fini, là, mais déjà, en soi, c’est extrêmement positif.
Je voudrais revenir sur les orphelins agricoles. Je comprends que vous dites dans votre… page 7 qui nous a été distribuée que leur situation était assimilée à celle des esclaves. Un: Ça représente quoi par rapport à l’ensemble des gens qui sont dans la même situation? Est-ce que vous avez une idée? Deuxièmement: En quoi est-ce que leur situation était pire que ceux qui n’étaient pas sur les fermes, entre autres.
M. Roy (Bruno): Un premier élément de réponse, et là je l’improvise un peu, je pense par exemple à Huberdeau, où on peut parler de 300 personnes qui ont été placées dans des fermes, d’une part. D’autre part, je pense, par exemple, à un pourcentage mais ça serait difficile à évaluer… Beaucoup de gens du Mont-Providence ont été placés dans les fermes. Il y a sûrement d’autres exemples. Je ne sais pas quelles étaient les habitudes, par exemple, à Saint-Jean-de-Dieu ou à Saint-Ferdinand.
Ça, c’est une dimension qui est apparue comme ça. À un moment donné on s’est aperçu que, effectivement, il y avait une problématique là. Donc, il s’agit juste de sensibiliser. C’est à nouveau une dimension. Et, moi, j’associe cette dynamique-là à la perte économique. C’est à ce niveau-là que je le situe quand on apporte cette dimension des orphelins agricoles. Je pense qu’on a une recherche à faire. Je sais qu’il y a eu des articles précis là-dessus. On est en train de les constituer, de les rassembler pour mieux comprendre la dynamique. Mais il y a une chose qui est sûre, c’est que ces orphelins agricoles venaient des institutions et ils étaient souvent sous la responsabilité des instances religieuses et de l’Église.
Le Président (M. Paquin): Merci. Mme la députée de La Prairie, il reste quatre minutes à votre formation et il y a également la députée de Pointe-aux-Trembles qui aimerait poser une question.
Mme Simard: Merci, M. le Président. M. Roy, M. Landry et les autres, je voudrais vous remercier pour votre présentation, mais aussi surtout vous remercier pour tout le travail que vous avez accompli depuis ces années qui a éveillé, au fond, le Québec à ce terrible chapitre de son histoire je pense que c’est cela. Et là, prochainement, encore des millions de personnes vont en prendre connaissance parce qu’on sait que ça va faire l’objet d’une série à la télévision.
Moi, je veux revenir sur le même sujet qu’a abordé mon collègue ici, le député de Fabre, concernant… Vous dites: Au fond, il n’y a pas que le gouvernement du Québec à assumer, nécessairement. Il y a plusieurs autres coupables, entre guillemets, dans votre dossier: les communautés religieuses, les médecins, le gouvernement fédéral aussi. Et vous dites, au fond, si j’ai bien compris, que c’est au gouvernement du Québec à prendre l’initiative, à prendre le leadership. M. Jacoby, le Protecteur du citoyen, a fait un rapport assez très complet, je dirais même excellent. Dans les autres provinces, ce n’est pas nécessairement les mêmes situations, mais quel a été le rôle joué par le gouvernement provincial?
(10 h 40)
M. Roy (Bruno): Ça varie selon… La médiation a échoué dans certaines provinces, a réussi dans d’autres. L’Église est très souvent partie prenante de cette solution, d’où l’idée du comité multipartite. Cette idée existe dans les autres provinces, avec des modalités un peu différentes, mais le principe est le même. Et il y a une participation du gouvernement fédéral, tantôt provincial. Et je pense que la province, puisque ça s’est passé sur son territoire, a pris l’initiative, dans certains cas. Dans d’autres, c’est l’Église qui l’a prise et qui l’a assumée, cette responsabilité-là. Au fond, ce que j’envoie comme message, c’est: Il faut que, un moment donné, quelqu’un prenne le pole et s’arrange pour que les autres embarquent. Et si, à un moment donné, il faut forcer un petit peu la porte, vous avez compris qu’il faut la forcer.
Le Président (M. Paquin): Mme la députée de Pointe-aux-Trembles.
Mme Léger: Il est évident que ce que vous nous dites aujourd’hui et que vous dites depuis longtemps, on peut comprendre, entre guillemets, mais cela n’atteint pas le degré minimum de vos souffrances, de vos douleurs, c’est évident, des pertes d’autonomie, des préjugés, l’atteinte profonde de votre propre identité. Et aussi, quand vous parlez des murs du silence, ça évoque beaucoup.
Mais c’est quoi, la réparation de la justice, dans une situation semblable? Je pourrais même vous dire: C’est quoi, réparer l’irréparable? Si je peux conclure, vos demandes seraient de proposer, un, qu’il y ait une reconnaissance; deux, qu’il y ait une volonté du gouvernement de réparer, c’est-à-dire assumer l’injustice, comme vous le disiez tout à l’heure; et, trois, un comité multipartite. Est-ce que ça résumerait? Ça pourrait conclure?
M. Roy (Bruno): Oui, ça résume si on inclut l’ensemble des propositions que nous avons faites, entre autres, par exemple, de corriger les dossiers. Ça, pour nous, c’est majeur. Si on excuse mais qu’on ne corrige pas les dossiers, on laisse traîner un problème, et c’est sûr que, minimalement, c’est ça. Les compensations peuvent prendre la forme d’aide comme on parlait tantôt, peuvent prendre la forme de compensations financières. Je pense que c’est tout ça qu’il reste à évaluer. Nous, ce qu’on veut, c’est que le gouvernement prenne en main le dossier et le conduise aux fins de la justice.
Le Président (M. Paquin): Alors, Mme Gascon, M. Bazinet, M. Landry, M. Roy, on vous remercie. Vous avez vu tout l’intérêt que suscite ce dossier auprès des parlementaires.
Je vous remercie de votre participation et de votre collaboration. Je suspends les travaux pour cinq minutes.
(Suspension de la séance à 10 h 44)
(Reprise à 10 h 49)
Le Président (M. Paquin): S’il vous plaît, je demanderais aux gens qui ont des conversations de les poursuivre à l’extérieur et je demande aux députés de reprendre place.
Je demanderais aux députés ministériels de prendre exemple sur les députés de l’opposition.
Là, on a un problème, c’est un manque de Protecteur. Le Protecteur du citoyen est-il dans les parages?
(10 h 50)
Alors, on attend que le Protecteur du citoyen prenne place et on commence aussitôt.
Puisque le Protecteur du citoyen est maintenant arrivé, nous allons commencer. Alors, vous disposez d’une vingtaine de minutes pour faire une présentation. Nous avons l’obligation de terminer nos travaux au plus tard à 12 h 5, 12 h 10. Alors, on ajustera le temps le mieux possible à l’intérieur de ça. Pardon?
Alors, on peut peut-être… Est-ce que 15 minutes, ça va, ou vous préférez 20? Quinze. Alors, M. Jacoby, si vous voulez, pour les fins de l’enregistrement, présenter les personnes qui vous accompagnent.
Le Président (M. Paquin): La parole est à vous.
M. Jacoby (Daniel): Alors, je remercie la commission de me donner encore une fois l’occasion, dans le cadre du mandat d’initiative, de réactualiser, si l’on veut, le dossier très problématique des enfants de Duplessis. C’est un dossier qui est problématique, et je dirais même dramatique si on le regarde sous l’angle des séquelles permanentes qu’a pu produire la situation que l’on connaît. Et c’est un dossier qui est aussi dramatique parce que, sur un plan strictement des voies traditionnelles de règlement de dossiers, c’est un dossier qui est en cul-de-sac et pour lequel, je pense, il faudrait, le cas échéant, mettre, pour employer des mots à la mode, une date butoir pour son règlement.
Je n’ai pas l’intention de reprendre mon rapport ni de le résumer comme tel, je voudrais simplement mentionner certains enjeux. Quand on regarde la situation des enfants de Duplessis, tant à l’époque où ces enfants étaient institutionnalisés qu’aujourd’hui, on peut constater, règle générale, et je voudrais peut-être synthétiser là-dessus, que les enfants de Duplessis, aujourd’hui, sont véritablement victimes d’un déficit, un déficit à la fois psychologique, social et économique. Je sais très bien que, dans ce domaine-là, viser au déficit zéro serait illusoire, mais je suis heureux que la commission ait pris l’initiative d’étudier cette affaire de façon, je le souhaite, à ce que les recommandations de la commission nous amènent non pas à réduire le déficit à zéro, parce que c’est impossible dans ce cas, mais de réduire tout simplement le déficit ou, à tout le moins, d’en minimiser les impacts négatifs.
Il y a des raisons fondamentales pour lesquelles cette affaire mérite d’être réglée. D’abord, ce n’est pas une affaire qui remonte à hier, c’était une question qui était connue et reconnue, reconnue même dès 1946. Quand on pense qu’en 1946 les communautés religieuses de même que les milieux scientifiques et médicaux reconnaissaient que l’internement des enfants dans les conditions que l’on connaît se traduisait par des retards et des problèmes psychologiques énormes. C’est pour ça que, dès 1946, les Soeurs de la Charité et les Soeurs de la Providence avaient proposé la création d’une école qui devait permettre, le cas échéant, à toutes ces personnes de pouvoir connaître ce que l’on peut appeler aujourd’hui une réinsertion sociale.
Donc, déjà, ces milieux scientifiques et religieux reconnaissaient le problème. Donc, c’est un problème qui est connu, reconnu depuis fort longtemps, et je pense que, là-dessus, j’ai cru noter ce matin que personne de la commission ne remet en doute l’existence de la problématique et des séquelles que cette problématique a pu entraîner.
La deuxième raison, c’est que, fondamentalement, même si on remonte des années trente à 1975 1975, où on a eu une première désinstitutionnalisation il n’en reste pas moins que ce qui s’est passé constitue, même s’il s’agit de droits socioéconomiques pour la plupart, une atteinte à des droits fondamentaux. On se rappellera que, dès 1923, la déclaration des droits des enfants faisait mention des différents droits auxquels les États devaient s’astreindre quant aux enfants, et ça a été repris en 1959.
On se rappellera aussi que notre Charte québécoise des droits, dès 1975, ne faisait que repomper, en grande partie, ce que l’on retrouvait dans les instruments internationaux de reconnaissance des droits pour les enfants et l’intégrité de la personne. On se rappellera aussi que nous avons, en 1979, adopté la Loi sur la protection de la jeunesse, qui, elle-même, reconnaît la nécessaire protection des enfants pour favoriser leur développement normal.
Ce sont donc des droits fondamentaux qui ont été atteints dans ces événements-là. Ce qui est aussi un peu, je dirais, anormal dans ce dossier, c’est que, si je reprends l’idée que, dès 1946, les communautés religieuses et les milieux scientifiques reconnaissaient le problème et voulaient créer un institut médico-légal pour la réinsertion sociale et psychologique de ces enfants… Il faut se rappeler que, quand je parle du Mont-Providence, il s’est passé un problème qui n’a fait qu’accentuer ou aggraver la violation des droits.
Parce qu’on se rappellera qu’en 1954 il s’est passé deux choses en rapport avec la situation Québec-Ottawa. Il y avait, on le sait, des conflits entre les deux paliers de gouvernements. C’est en 1954 que le gouvernement a décidé de créer l’impôt sur le revenu au Québec et c’est aussi en 1954 que, par une décision politique et administrative qui était très liée aux conflits qui existaient entre les deux paliers de gouvernements, le gouvernement d’Ottawa a décidé de se retirer des services éducatifs. Ce faisant, il ne voulait plus financer l’institut médico-légal. Et c’est sur l’insistance du gouvernement provincial que, finalement, les congrégations religieuses ont dû transformer, convertir cet établissement de façon à pouvoir bénéficier des fonds du fédéral.
C’est à cette époque-là aussi que, dans ce cas particulier, on a dû, administrativement, changer le statut social d’une personne. Une personne normale est devenue, après geste politico-administratif, une personne privée de droits parce que étiquetée «malade mentale». Et ça, c’est, dans l’histoire, quelque chose d’important dont il faut prendre compte quand on analyse la responsabilité, ne serait-ce que morale, de l’État dans ce dossier-là.
(11 heures)
Je voudrais aussi mentionner que les moyens, selon moi, ont pratiquement été épuisés. Le dossier est rendu dans un cul-de-sac. Vous n’ignorez pas qu’il y a eu, sur le plan civil, des requêtes pour autoriser des recours collectifs et que, dans tous les cas, ces requêtes ont été rejetées, sans mettre en cause le fond du dossier, mais tout simplement parce que, selon la magistrature, selon la Cour supérieure, il était évident que ces recours ne répondaient pas aux conditions de recevabilité prévues par le Code de procédure civile. Mais en aucun cas ça ne remettait en cause l’existence du phénomène.
Sur le plan criminel, on est aussi arrivé à un cul-de-sac, sauf dans un cas particulier où la plainte criminelle s’est rendue jusqu’au bout, avec condamnation, et tout. Mais le Procureur général a mentionné à l’époque, lorsqu’il a dit qu’il n’y aurait pas de poursuite, qu’il y avait trop de problèmes sur le plan juridique et sur le plan de la preuve pour pouvoir mener à bien ce dossier dans le domaine criminel. D’autant plus que vous n’ignorez pas que, en matière criminelle, c’est la preuve hors de tout doute raisonnable. Alors, il y avait des questions de prescription, il y avait des questions de témoignages contradictoires, des témoins qui étaient morts, des témoins qui n’étaient pas aptes à témoigner, et ainsi de suite.
Cet exercice, qui n’est pas futile en soi, que d’avoir voulu utiliser les tribunaux, qui était tout à fait légitime… Il était légitime, tant pour les requérants, en l’occurrence les enfants de Duplessis, que pour les personnes poursuivies, le gouvernement et les communautés religieuses, de vouloir se défendre. Mais, à partir du moment où on judiciarise un dossier, il est évident que ça cristallise les situations et que ça endurcit les situations à un point tel que les communications finissent par ne plus avoir lieu entre les principaux intervenants.
Donc, c’est un dossier qui, à cause de l’allure qu’il a prise par le biais des procédures judiciaires, est devenu, encore une fois, traumatisant pour les enfants de Duplessis, mais également traumatisant, d’une certaine manière, pour les autorités gouvernementales et pour les autorités religieuses parce que, même si les poursuites ont été rejetées pour des questions techniques, il n’en demeure pas moins que subsistera toujours un doute sur la situation qui a prévalu à l’époque et sur les effets de cette situation.
Donc, je pense que la voie judiciaire et d’ailleurs les juges eux-mêmes l’ont dit à plusieurs reprises dans cette affaire-là, ce n’est pas la bonne porte. Ce n’est probablement pas la bonne porte pour toutes les raisons que l’on connaît. Donc, ils souhaitaient, ces juges, que la solution se trouve dans une autre voie de règlement de dossier.
Ce qu’il faut prendre en compte également, c’est que, dans toutes les provinces canadiennes sauf l’Alberta pour des raisons que j’ignore quand il y a eu des situations analogues ou similaires, le gouvernement s’est impliqué. Le gouvernement, dans certains cas suite à une recommandation de l’ombudsman provincial et dans d’autres cas de sa propre initiative suite à des représentations, a créé des commissions d’enquête. On est sorti du système judiciaire. Et ce qu’il faut retenir de ces commissions d’enquête et on en a parlé un peu ce matin c’est les questions de preuve. Les commissaires enquêteurs ou les présidents de commissions d’enquête disent que, comme ces événements remontent à des décennies et c’est arrivé dans plusieurs dossiers traités dans les autres provinces il est évident que la situation n’est jamais claire, elle est très floue, que les preuves traditionnelles ne peuvent pas fonctionner, qu’il ne faut pas essayer de trouver des coupables, d’une certaine manière et qu’il faut aménager un régime de compensation qui soit des moins formalistes qu’il faut, de façon à ce que justice soit faite.
Je pense que la proposition que nous avons faite d’aménager un régime de compensation pour les enfants de Duplessis, ce n’est pas quelque chose de nouveau au Québec. La notion d’indemnisation sans égard à la faute est une notion qu’on connaît bien. Nous sommes les pionniers même au Québec dans ce domaine-là, avec notamment l’instauration du régime des accidentés du travail, l’instauration du régime des accidentés de la route, l’adoption d’une loi sur l’indemnisation des victimes d’actes criminels.
Nous sommes aussi des pionniers parce que, depuis fort longtemps, nous avons un régime sans égard à la faute concernant les sinistres. Par exemple, chaque année, chaque fois qu’il y a des crues ici et là, nous avons un régime où on ne s’interroge pas à savoir qui est en faute. Même dans le dossier du Saguenay, le gouvernement a pris l’initiative et il est même allé plus loin que traditionnellement. On ne s’interroge pas à savoir s’il était responsable par le biais du ministère de l’Environnement ou si des entreprises étaient responsables; on a mis sur pied un régime d’indemnisation sans égard à la faute. Les discussions ont surtout porté sur le quantum, les montants d’indemnisation. Je pense qu’il n’y a rien de nouveau sur la planète Terre, et particulièrement au Québec, quant à l’adoption d’un programme d’indemnisation de ce type-là.
Pour terminer, je dois vous dire que je suis vraiment heureux et c’est peut-être un peu différent, ce qui se passe ici, de ce qui s’est passé dans les autres provinces qu’une commission de l’Assemblée nationale ou du Parlement décide de lancer un mandat d’initiative dans ce domaine-là. Je peux dire que, dans les autres provinces, à ma connaissance, il ne s’est pas posé de situation semblable où les représentants de la population se sont véritablement penchés sur le problème pour, le cas échéant, faire des recommandations positives à l’égard de ces victimes que sont les enfants de Duplessis.
Alors, je rappelle simplement que le scénario que nous privilégions se retrouve à la page 63 et 64 de notre rapport. Pour résumer, je dirais qu’il comporte une mesure préalable de reconnaissance et d’excuses de la part des acteurs, dans cette affaire-là, à l’égard des enfants de Duplessis; l’instauration d’une indemnité personnelle pour chacune des personnes qui seront reconnues comme étant des enfants de Duplessis, doublée d’une indemnité ou d’un montant versé à un organisme de soutien pour toutes les questions plus accessoires mais tout accessoire est fondamental néanmoins. L’indemnité personnelle pourrait prendre la forme d’un forfaitaire, payable en un seul versement ou sur plusieurs versements, maximum 5 ans, et, dans certains cas, le versement d’une rente avec le principe que ces argents ne doivent en aucune manière être pris en compte pour des fins d’imposition. En d’autres termes, ces montants ne devraient être ni imposables ni avoir pour effet secondaire de réduire ou d’annuler des prestations gouvernementales en vertu d’autres programmes.
Ensuite, je pense qu’il est absolument essentiel dans une affaire comme celle-là qu’un comité multipartite soit créé, son rôle principal étant, un, de s’entendre pour reconnaître qu’il y a des problèmes; deuxièmement, d’essayer de s’entendre sur un partage des responsabilités financières; et, trois, proposer un programme d’indemnisation qui, bien sûr, serait administré par une autorité qui ne serait pas le comité multipartite lui-même parce qu’il pourrait être juge et partie, mais par une autorité indépendante, avec un droit de révision pour les personnes qui ne seraient pas d’accord avec la décision prise en fonction du programme. Également la possibilité, comme on retrouve dans les programmes des autres provinces, pour une personne qui ne serait pas d’accord avec l’indemnité ou une personne qui ne voudrait tout simplement pas embarquer dans le système, de pouvoir continuer à recourir devant les tribunaux malgré la complexité de l’affaire sur le plan judiciaire. Je vous remercie.
Le Président (M. Paquin): Merci, M. Jacoby. Alors, nous disposons d’environ 25 minutes de chaque côté. Mme la députée de Mégantic-Compton.
Mme Bélanger: Merci M. le Président. Bonjour, M. Jacoby.
(11 h 10)
Le Président (M. Paquin): Alors, peut-être à titre indicatif, j’ai sur ma liste: la députée de Mégantic-Compton et le député de l’Acadie; les députés de Bonaventure, de Drummond, de La Prairie et de Gaspé de ce côté-là. Est-ce que c’est complet? Alors, on y va. Mme la députée de Mégantic-Compton.
Mme Bélanger: Alors, Me Jacoby, en page 1 de votre rapport, vous résumez votre démarche. Vous dites qu’après avoir identifié le groupe concerné, rappelé le contexte social, cerné le problème, constaté les obstacles au règlement du conflit et examiné les solutions canadiennes vous avez été convaincu que des préjudices avait été causés et qu’ils devaient être réparés.
Avez-vous fait d’autres enquêtes que la consultation des écrits… Non, ce n’est pas la première question. Comment, concrètement, êtes-vous en mesure de conclure que des préjudices ont été causés? Avez-vous rencontré les communautés religieuses et les ordres professionnels concernés? Les avez-vous consultés quant aux recommandations que vous formulez? Et, avant de conclure à leur responsabilité et à la nécessité que ces derniers formulent des excuses, avez-vous mené des enquêtes auprès d’eux?
M. Jacoby (Daniel): Non, je n’ai pas mené d’enquête à ce stade-ci parce que à partir du moment où… Il s’est passé quelque chose l’année passée. C’est que la commission des institutions s’était très intéressée au dossier en janvier 1996, et ça s’est terminé par un mandat d’initiative. Je pense que, à ce stade-ci, j’avais suffisamment d’éléments dans le dossier non pas pour dire qu’il y avait faute, parce qu’une des trames de mon rapport qui est fondamentale c’est que je dis qu’il faut oublier ça. Il ne s’agit pas d’accuser qui que ce soit de ce qui s’est passé. On tourne la page. Ça ne sert à rien de continuer à victimiser tout le monde, autant les enfants de Duplessis que les autorités concernées.
Je pense que l’approche doit être de dire: Oui, il y a eu des préjudices à l’époque, il y a eu des préjudices dont on voit les séquelles aujourd’hui, et maintenant la question n’est plus de savoir qui est responsable et sous quelle forme, mais de savoir que chacun va contribuer monétairement à une forme de compensation pour améliorer les conditions de vie de ces personnes-là.
Je n’avais pas l’intention, à ce stade-ci, d’entrer en contact avec les autorités religieuses ni avec l’Ordre des médecins étant donné que vous avez pris l’initiative du mandat, mais, par ailleurs, si la commission souhaite que, de mon côté, je fasse des démarches en cours d’exercice, dès maintenant, il est certain que je suis ouvert à ce genre de démarche.
Mais aussi, il faut bien penser qu’il y a un autre élément, et ça a été évoqué ce matin, notamment, dans le cadre de la rencontre avec le Comité, c’est que je pense que, dans une affaire comme ça, il ne faut pas penser que l’Ordre des médecins ou les congrégations religieuses, les autorités ecclésiastiques vont prendre l’initiative de dire oui. Je pense qu’il faut s’attendre à ce que, dans une optique d’un règlement, ce soit d’abord le gouvernement, les institutions démocratiques qui prennent cette initiative de dire oui, nous reconnaissons qu’il y a un problème; oui, nous allons prendre l’initiative de voir à la création d’un fonds d’indemnisation. Mais il va tout à fait naturellement que les deux autres intervenants ne se pointent pas à ce stade-ci. Ça fait partie de l’ordre normal des choses. Et, tant que le gouvernement n’aura pas indiqué d’une manière ou d’une autre, suite aux recommandations que la commission pourra faire, je ne pense pas qu’il faut s’attendre à autre chose que la situation actuelle, d’où la nécessité, en temps opportun, pour le gouvernement, de se prononcer sur la question et de prendre l’initiative.
Mme Bélanger: Me Jacoby, vous appuyez en grande partie votre recommandation d’en arriver à un règlement humanitaire c’est ce que vous préconisez hors cour sur l’expérience similaire des autres provinces. Mais, à la page 32 de votre rapport, on dit que, dans la plupart des expériences canadiennes que vous décrivez, la solution d’un règlement humanitaire est arrivée à l’issu d’une commission d’enquête publique. Ne croyez-vous pas qu’avant d’aller plus loin on devrait procéder à cette enquête publique afin, notamment, de mieux identifier les responsables de même que l’existence des préjudices.
Parce que le gouvernement de la Colombie-Britannique s’engage clairement à utiliser des méthodes autres que la confrontation judiciaire pour indemniser les victimes. Cette recommandation, vous dites, elle a été suivie, mais le gouvernement de la Colombie-Britannique a désigné un commissaire spécial chargé d’enquêter sur l’étendue et la sévérité des agressions sexuelles, la responsabilité de la province et les méthodes de réparation des préjudices soufferts.
M. Jacoby (Daniel): Oui, il y a une dynamique particulière qui s’est… enfin il n’y a pas deux façons identiques dont les dossiers ont été traités. Il faut dire que, dans plusieurs provinces, parce que la situation était moins connue, on a dû créer une commission d’enquête, qui peut s’expliquer dans les circonstances. Il faut bien penser que les commissions d’enquête ne jouaient pas le rôle d’un tribunal, mais essayaient de faire la lumière sur ce qui s’était passé. Ensuite, ces mêmes commissions d’enquête ont proposé un régime d’indemnisation. Dans tous les cas, ces commissions d’enquête ont dit que les gouvernements avaient une responsabilité, à tout le moins morale, et qu’il était odieux de vouloir envoyer des victimes de cette nature là devant les tribunaux.
Moi, ce que je pense, c’est qu’à ce stade-ci et à partir du moment où on ne discute plus avec cette notion de faute et de responsabilité, dans le sens de faute et de prouver qu’il y a une faute… Mais, à partir du moment où on dit: Il y a eu un préjudice, il faut le reconnaître et, maintenant, trouvons les façons de réparer le préjudice, je pense qu’une commission d’enquête n’ajouterait pas grand-chose à ce stade-ci parce qu’il y a suffisamment d’éléments dans le rapport du Protecteur du citoyen et dans d’autres études qui ont été faites pour permettre, le cas échéant, soit à la commission des institutions, à ce stade-ci, de pouvoir clarifier certains aspects… Je sais qu’il y a des questions dont on n’a pas la solution tout de suite, à première vue.
Donc, moi, je ne vois pas l’utilité de créer une commission d’enquête à ce stade-ci, d’autant plus que, même si le Protecteur du citoyen n’a pas fait une enquête au sens traditionnel du mot, en interrogeant des témoins, et tout et tout, le Protecteur du citoyen a quand même eu à sa disposition de nombreux témoignages écrits et aussi des explications ici et là qui suffisent pour proposer une trame sur laquelle… Évidemment, ce n’est qu’une trame, ce n’est pas une proposition irrévocable ou qui est figée dans le béton. Mais je pense qu’il y a suffisamment d’éléments pour qu’on puisse éviter la commission d’enquête.
Et la commission d’enquête, vous le savez, on va reposer exactement le même problème qu’avec les tribunaux, ça, c’est clair pour moi, en ce sens que la commission d’enquête va encore essayer, à moins vraiment de limiter son mandat, de rechercher les coupables et de retraumatiser tous les témoins, et, quand je parle des témoins, je parle principalement des enfants de Duplessis, et il y aura évidemment interrogatoires, contre-interrogatoires et, en bout de ligne, on ne verra pas plus clair qu’aujourd’hui. Alors, je pense que ce serait des dépenses publiques un petit peu inutiles que d’entreprendre une commission d’enquête à ce stade-ci.
Le Président (M. Paquin): D’autres questions?
Mme Bélanger: Non, non, ça va. Je vais laisser la chance à mes collègues.
Le Président (M. Paquin): D’accord, on y reviendra. Alors, merci, Mme la critique de l’opposition. M. le président de la commission des institutions et député de Bonaventure.
M. Landry (Bonaventure): Merci, M. le Président. Me Jacoby, à la page 2 du mémoire, vous parlez d’une notion de responsabilité morale, mais sans égard à la faute et vous citez des exemples que je reconnais, comme par exemple des fonds d’indemnisation, notre régime d’assurance-automobile du Québec, entre autres, pour les dommages matériels. Ce que je pense qui est profondément différent dans ce que vous amenez, quand même, en regard de ces régimes-là, c’est la notion de responsabilité. C’est parce que c’est des régimes qui sont sans responsabilité. Mais on convient qu’on met là un fonds collectif et qui, en quelque sorte, contribue à la réparation.
Ici, pour moi, il y a une différence qui est quand même importante dans votre proposition, puisque vous intégrez la notion de responsabilité morale. On identifie trois groupes actuellement, dans une période de la vie, pour des milliers de personnes, qui a été fort douloureuse, qui a été une douleur de toute une vie, en quelque sorte. Et situons-nous dans une époque où il y avait un autre groupe aussi, qui n’est pas là forcément, qui, de toute façon, n’y serait plus, mais qui était, en fait, la morale familiale et les contraintes familiales qui faisaient en sorte que les enfants étaient privés de leurs parents. Donc, il y a toute cette dimension-là.
Pour moi, je crois qu’il y a une notion de réparation sans égard à la faute, mais on se situe avec une population qui a été victime d’un système et où à peu près la très grande majorité des acteurs, en regard de leur situation, ne sont plus là. Je comprends, moi, qu’on puisse parler d’un mode de réparation sans égard à la faute, mais la notion de responsabilité morale, on peut difficilement la plaquer sur des groupes, ou des gens, ou des personnes qui n’y sont plus. En ce sens-là, je pense qu’on doit en quelque sorte travailler plus à des mesures réparatrices qu’à des processus de responsabilité. Dans certains cas, les responsabilités peuvent être très claires. Quelques cas, ça a pu l’être et ça a pu l’être en regard de la justice aussi. Mais je pense qu’il faut donc aller au-delà de ça, et même au-delà d’une notion de responsabilité.
(11 h 20)
M. Jacoby (Daniel): Oui. Vous avez entièrement raison. Il faut regarder les mesures réparatrices. Mais, pour ce faire, il faut reconnaître qu’il y a à tout le moins eu un préjudice.
M. Landry (Bonaventure): Oui, ça, je pense que…
M. Jacoby (Daniel): Et il faut aussi reconnaître que ce n’est pas les us et coutumes de la société de l’époque. On parle des années trente à 1965, peut-être. Il s’est passé une quarantaine d’années, deux générations, et il y a une évolution marquée dans ces deux générations-là. Il est évident que la morale sociale de l’époque ou la morale de l’époque, c’était accorder la prépondérance à la famille et prépondérance à la religion, et famille et religion étaient intimement reliées.
Et il faut penser que, quels que soient les événements… Qu’il y ait eu des institutionnalisations, c’est normal: aujourd’hui, on fait la même chose; on continue à placer des gens en hébergement lorsqu’il n’y a pas d’autre alternative et aussi lorsque ces personnes ont des difficultés. Mais, que l’on soit en 1997 ou que l’on soit dans les années quarante, ce qui n’était pas acceptable à l’époque, pas plus qu’aujourd’hui, c’est le fait que, par exemple, on change complètement l’état civil d’une personne pour des fins purement administratives et qu’on fasse perdre l’identité, qu’on fasse perdre des droits, qu’on banalise les personnes. Ces personnes deviennent des demi-personnes, et, encore, par un geste administratif.
Ce qui n’est pas acceptable non plus, c’est tout ce qui va avec. À partir du moment où des personnes normales, ou presque normales étant donné que beaucoup de personnes avaient déjà subi les effets de l’institutionnalisation se trouvent à avoir des traitements qui deviennent inusités un peu, je dirais, au sens du Code criminel, au sens des protocoles internationaux quand on parle de lobotomie, quand on parle de contention chimique, de contention physique à l’égard de personnes qui normalement n’auraient jamais dû subir ce genre de préjudices…
Et je ne mets pas en cause, je ne veux même pas, moi, en ce qui me concerne, discuter de la bonne ou mauvaise foi, faute ou pas faute. C’est une réalité, mais c’est une réalité dont il faut tenir compte que, pas plus dans les années trente, quarante, cinquante, soixante qu’aujourd’hui, ça serait acceptable d’aller au-delà d’un droit de correction modérée et de transformer des personnes. Ça, c’est pire que le clonage, là. C’est un clonage inhérent, ou un anticlonage, d’une certaine manière.
Alors, dans cet optique-là, je suis tout à fait d’accord: il faut travailler sur des mesures réparatrices. Et vous avez raison de dire que les exemples que je donne en termes de responsabilité sans égard à la faute, ce sont des comparaisons. On sait que les comparaisons ont toutes des problèmes. Chose certaine, c’est que je peux dire une chose, c’est que, dans toutes les provinces, quand le fédéral a été impliqué, on a dit: On oublie la responsabilité juridique, il y a une responsabilité morale.
Et même dans un cas, si je me rappelle le dossier des citoyens canadiens japonais, le Conseil privé avait lui-même dit, dans les années cinquante parce qu’il y avait eu des poursuites prises par les Japonais, et c’est monté jusqu’à l’«upper» Cour suprême, qui était le Conseil privé à l’époque qu’il n’y avait pas de responsabilité de la part du gouvernement canadien. N’empêche que, 20 ans plus tard, le gouvernement canadien, au nom d’une responsabilité morale, a décidé de prendre ça sous l’angle des réparations.
M. Landry (Bonaventure): J’avais, si vous le permettez, une autre question. Vous faites référence, dans votre rapport, aux écoles d’industries. On nous a parlé des orphelins agricoles ce matin, et je pense que ça révèle une problématique particulière. Mais on parlait des écoles d’industries. J’aimerais savoir un peu ce que c’était, ces fameuses écoles d’industries là.
M. Jacoby (Daniel): Les écoles d’industrie étaient des écoles dont la principale vocation était de faire acquérir de l’employabilité, de donner la capacité, les outils nécessaires pour faire en sorte qu’une personne puisse, le cas échéant, acquérir des capacités, travailler et produire au sens où on l’entend traditionnellement. Il y avait aussi parallèlement les écoles de réforme qui, elles, touchaient plus les contrevenants et ainsi de suite, mais c’étaient des écoles d’industrie pour des personnes relativement défavorisées.
M. Landry (Bonaventure): Alors, en quelque sorte, ça ne conduisait pas cependant, comme les écoles d’arts et métiers de l’époque, à une diplomation. Est-ce que ça conduisait à…
M. Jacoby (Daniel): Non. Ça ne conduisait pas à une diplômation, pas à ma connaissance.
M. Landry (Bonaventure): Un peu comme certaines classes qu’on a appelées, à l’époque plus récente des polyvalentes, les classes «occupationnelles».
M. Jacoby (Daniel): Oui.
M. Landry (Bonaventure): O.K. Ça précise. Bon. Je reviendrai s’il nous reste du temps, M. le Président, pour d’autres questions.
Le Président (M. Paquin): Ça va. Alors, merci. M. le député de l’Acadie, suivi du député de Drummond.
M. Bordeleau: Merci, M. le Président. Tout à l’heure, il y a une question vous a été posée et j’ai été un peu surpris de la réponse que vous avez donnée. C’était à savoir… En fait, c’était au tout début de l’échange sur la procédure de consultation que vous aviez suivie pour en arriver, disons, aux recommandations que vous avez faites et au constat que vous avez fait dans votre rapport. Vous avez mentionné que… Bon. Vous avez répondu à une demande qui venait du groupe des enfants de Duplessis. Vous avez fait enquête à ce niveau-là et vous avez fait aussi référence au fait que vous n’avez pas jugé à propos, si je comprends bien vous me corrigerez si je fais erreur de rencontrer les communautés religieuses ou l’Ordre professionnel des médecins pour avoir leur version. Ces gens-là sont mis en cause au premier chef dans votre rapport, c’est évident, et, sans minimiser d’aucune façon loin de là mon objectif les problèmes très difficiles qu’ont vécus les orphelins et les orphelines de Duplessis, je suis surpris de voir que cette démarche-là n’a pas été faite auprès des communautés religieuses.
Parce qu’on se situe quand même dans un contexte, là, on l’a mentionné tout à l’heure, historique et social tout à fait particulier, avec des valeurs de société qui étaient celles qu’on avait aux époques auxquelles vous avez fait référence, des années trente au milieu des années soixante, et il me semble qu’en toute équité, si on avait voulu avoir un portrait complet, au fond, pour essayer de comprendre et de situer les événements auxquels on fait référence, il aurait fallu à tout le moins avoir la version des communautés religieuses et de l’Ordre des médecins pour être en mesure de juger de la façon la plus pertinente possible les faits qui sont mis en évidence depuis un certain nombre d’années dans ce qu’on appelle le cas des enfants de Duplessis.
Alors, vous parliez tout à l’heure d’un préjudice qui a été créé, qui paraît évident pour un grand nombre de personnes de la catégorie des enfants de Duplessis, mais je me demande si on n’est pas actuellement en train de créer un autre préjudice, qui est celui d’impliquer d’une façon générale toutes les communautés religieuses et tous les médecins. Et la question que je me pose, je ne suis pas familier avec le détail du dossier, mais est-ce que c’est toutes les communautés religieuses qui ont été impliquées dans le genre de mandat où on gardait, mettons, des enfants qui étaient orphelins à ce moment-là? Je suppose qu’il y avait des communautés religieuses qui étaient plus dédiées à une vocation d’éducation, d’autres à une vocation de santé, d’autres possiblement à ce moment-là au niveau des crèches et des hôpitaux. Mais là on parle maintenant des communautés religieuses de façon générale et je me demande si c’est juste et équitable de le faire de cette façon-là.
(11 h 30)
C’est évident que l’idéal, d’après moi, ç’aurait été qu’on puisse identifier directement des personnes qui ont posé des gestes répréhensibles, que ces personnes-là soient accusées et soient traitées en conséquence par le système de justice. Bon. Vous avez fait référence aux difficultés, puis on y a fait référence aussi tout à l’heure, qui peuvent subvenir à essayer de recréer, là, toute la trame des événements qui se sont produits il y a un certain nombre d’années. Alors, il y a une difficulté qui est évidente, là. Mais, par contre, j’ai de la misère à croire qu’on a affaire à un système qui impliquait toutes les communautés religieuses, toutes les religieuses, tous les religieux, et que tous les enfants qui ont été mis dans ces situations-là ont été traités de la même façon.
Alors, je suis un peu mal à l’aise à ce niveau-là et je suis surpris de voir vous m’expliquerez si je n’ai pas saisi exactement votre point de vue… Pourquoi il n’y a pas eu une démarche auprès des communautés religieuses et des médecins pour avoir leur point de vue et nous permettre d’avoir un éclairage le plus complet possible sur des événements qui se sont produits dans un contexte social très différent, qui était celui des années trente au milieu des années soixante?
M. Jacoby (Daniel): Oui. Je vais vous donner… Oui, je pourrais vous donner une réponse un peu bébête: techniquement je n’ai pas de pouvoir d’enquête sur les communautés religieuses dans ce dossier-là; mon seul pouvoir d’enquête, c’est le gouvernement, point. Mais ça, ça ne serait pas une réponse valable parce qu’elle est trop légaliste.
La réalité est la suivante. Ce document ou cette étude a été faite en vue de consultations, c’est le titre du document. Quand au point de vue des autorités religieuses, il y a deux éléments dans le dossier qu’il ne faut pas négliger. Il y a, d’une part, l’ensemble des procédures judiciaires qui ont été prises, et le point de vue des autorités religieuses, par l’entremise des avocats, se retrouve en toutes lettres.
À la page 26 du rapport, voici les arguments qui ont été invoqués et je ne porterai pas de jugement sur le fonds des arguments. Un des premiers arguments, à la page 26: autres temps, autres moeurs. C’est un des plaidoyers qui a été utilisé par les congrégations religieuses et reconnu par les avocats du Procureur général, en disant qu’il est injuste de juger le passé avec les valeurs d’aujourd’hui. Ça c’est un des moyens qui a été avancé et qui est public.
Le deuxième moyen, c’est qu’il faut réaliser que les congrégations religieuses étaient les seules à vouloir s’occuper des enfants abandonnés, et c’est très juste, qu’il y avait donc un motif de charité chrétienne dans tout ça et qu’il faut donc faire très attention quand on veut pénaliser, d’une certaine manière, ou responsabiliser les autorités religieuses. Et ça, je suis entièrement d’accord avec cela.
Quant aux connaissances scientifiques, il y a un débat là-dessus. Les uns prétendent qu’on ne faisait pas, à l’époque, la distinction entre la déficience intellectuelle et la maladie mentale, et d’autres et ça, c’étaient des questions si les choses étaient allées au fond des choses, s’il y avait eu un procès vraiment, parce qu’on est toujours au stade du recours collectif des psychiatres de l’époque, disaient que, bon, oui, on pouvait faire ces distinctions-là.
Le quatrième élément qui a été invoqué par les autorités religieuses par l’entremise de leurs avocats, ça a été de dire que, dans le fond, on voulait faire le procès des communautés religieuses. On a admis qu’il a pu y avoir des excès et des abus c’est ce qui est dit dans les plaidoiries mais ces cas d’abus, dit-on, seraient utilisés pour faire le procès de toutes les communautés, d’alimenter la vague de dévalorisation de la religion catholique. C’est un des éléments qui est dans le dossier.
Et, ensuite, il y a l’élément de la fabulation. On part du principe que, bien sûr, les enfants de Duplessis, ne connaissant pas leurs parents, ont des frustrations, sont en recherche d’identité et vont trouver cette identité, d’une certaine manière, à travers les communautés religieuses, qui avaient le mandat, de par le gouvernement du Québec pour qui les enfants de Duplessis étaient des pupilles de l’État d’administrer les programmes gouvernementaux. Et on dit, bon, que certainement un bon nombre d’enfants de Duplessis fabulent, en ce sens qu’ils font reporter leurs frustrations sur, effectivement, les congrégations religieuses.
Alors, ce sont des documents publics et je pense que je devrais prêter foi à ces arguments-là. Je les ai analysés, non pas pour porter un jugement sur le fond, et je constate que c’est ça. Et je constate également que le Procureur général, outre d’accréditer ces éléments-là, et je ne me prononce pas sur le fond, a invoqué des moyens de droit pour dire que l’État n’était pas responsable. Ça, c’est un élément.
Le deuxième élément, c’est qu’il y a un livre qui a été écrit avec un fonds, une subvention des autorités religieuses, qu’on retrouve à la page 8 du rapport. Marie-Paule Malouin et autres personnes ont fait, justement, une étude, une recherche, et cette étude a été en partie financée par les autorités ecclésiastiques pour montrer l’envers de la médaille: L’univers des enfants en difficulté au Québec entre 1940 et 1960 , publiée aux Éditions Bellarmin. Donc, c’est une position qui a été… On montrait que, s’il y avait eu des responsabilités, ça ne pouvait pas être que les religieuses ou les congrégations religieuses. Ce document est public. Ce document fait une foule de nuances. On peut être ou ne pas être d’accord sur ce document-là, mais c’est un document qui était riche d’information et de réflexion. Et il m’a paru suffisant aussi de me baser d’un côté sur les procédures, de l’autre, là-dessus, pour en tirer certaines conclusions.
Mais mes conclusions n’ont jamais été de dire: Il y a des personnes en faute. Mes conclusions ont été de dire qu’il y a eu une implication, à l’époque, de différents niveaux de gouvernements et d’autorités. Il faut se rappeler que, depuis la fin du siècle dernier, il y avait eu un pacte entre les autorités civiles et les autorités religieuses pour que les services éducatifs et les services de santé, les services sanitaires et psychosociaux, soient administrés par les congrégations religieuses en vertu d’un pacte.
Il faut aussi reconnaître que le gouvernement avait des responsabilités, que le gouvernement, notamment en ce qui touche les questions médicales, avait des surintendants médicaux au niveau des établissements. Et l’histoire montre que le contrôle exercé par ces surintendants médicaux a été véritablement…
Le Président (M. Paquin): M. Jacoby, je vais devoir vous demander de faire des réponses beaucoup plus courtes parce que ça ne permet pas au député de poser des sous-questions, et le temps du député serait épuisé. Donc, je voudrais lui permettre quand même d’ajuster, là, et de faire une sous-question. Est-ce que vous avez…
M. Bordeleau: Je vais laisser le temps à mes collègues d’intervenir éventuellement.
Le Président (M. Paquin): Oui, bon, alors, je vous remercie. Je m’en excuse.
M. Jacoby (Daniel): Ça va. Des fois…
Le Président (M. Paquin): C’est parce qu’on a des banques de temps quand même limitées.
M. Jacoby (Daniel): Excusez-moi, j’arrête. Je pense que j’ai répondu substantiellement à M. le député.
Le Président (M. Paquin): Merci. Alors, Mme la députée de La Prairie. Un instant, le député de Drummond n’a pas parlé? Donc, c’est le député de Drummond. Je m’excuse.
M. Jutras: Alors, M. le Protecteur du citoyen, mesdames, messieurs, sans trop de préambule, parce que j’aurai deux questions. Moi, je veux en venir immédiatement aux indemnités que vous suggérez. Vous êtes parti du principe de l’indemnité sans égard à la faute, c’est-à-dire qu’on indemnise le plus de gens possible, puis aussi des indemnités basées sur le fait qu’on règle hors cour, en évitant les aléas d’un procès. Bon, alors, dans mon livre à moi, là, quand on parle d’indemnités sans égard à la faute, ça veut dire que, oui, on indemnise tout le monde, mais, par contre, les indemnités sont réduites.
Et je n’ai pas vu dans votre rapport sur quoi vous vous êtes basé pour en arriver à vos chiffres. Vous dites, à un moment donné, à la page 57 de votre rapport, que les orphelins de Duplessis ne peuvent pas être pleinement indemnisés, mais vous semblez retenir un critère, de dire qu’il faudrait voir à améliorer leurs conditions de vie avec les indemnités qui leur seraient accordées. À la page 59 aussi, vous dites que les indemnités devraient être basées sur des critères objectifs, mais on voit plus ou moins ce qu’il en est. Et là, dans vos conclusions, à la page 64, paragraphe 7, vous dites… Bon, pour ce qui est de l’internement, là, vous parlez d’un 1 000 $ par année, et, dans le cas de sévices corporels et d’agressions sexuelles, vous parlez d’indemnités de 10 000 $ à 20 000 $.
Alors, moi, ce que je veux savoir, c’est: Sur quoi vous vous êtes basé? Est-ce que vous vous êtes basé sur ce qui s’est payé dans d’autres provinces, ou est-ce que vous vous êtes basé sur ce que peuvent valoir ces réclamations-là, puis dire: Bon, bien, vu qu’on indemnise tout le monde, par exemple, on réduit de 50 %? Comment vous en venez à cette conclusion-là?
Parce que vous avez entendu M. Roy tantôt, vous étiez dans la salle. Vous avez vu que ce que suggère, M. Roy, là, il y a un océan qui vous sépare, le Protecteur du citoyen et le Comité des orphelins de Duplessis. Parce que, lui, en tout cas, il faisait référence à une cause, la cause de la CSN contre l’hôpital Saint-Ferdinand d’Halifax, où on parle d’indemnités qui équivalent à 3 600 $ par année dans le cas de gens qui ont été privés de soins, puis il parle d’une autre cause où la personne, pour un faux diagnostic, a obtenu 300 000 $. C’est évident que, d’après les critères retenus par nos tribunaux civils au Québec présentement, ça vaudrait beaucoup plus que ce qui est mentionné à votre paragraphe 7. Par contre, ce que j’ai retenu de M. Roy, c’est qu’il nous a dit que c’était négociable: Assoyons-nous et tentons de trouver une entente.
Alors, moi, je veux donc savoir c’est quoi, le raisonnement, pour arriver à vos conclusions du paragraphe 7.
(11 h 40)
M. Jacoby (Daniel): Alors, sur quoi nous nous sommes basés? Je me suis inspiré, je dis bien inspiré, sans recopier, des programmes qui ont été mis sur pied ailleurs, d’une part. Je me suis inspiré de certains concepts, par exemple… en me basant sur Saint-Ferdinand concernant les durées de séjour. Ça a été pris en compte. Je me suis basé sur les moyennes des indemnités qui ont été versées dans d’autres provinces pour des situations qui, sans être identiques, ont certains liens. Et je pourrais vous dire que, lorsque je mets des chiffres, à la fin, 1 000 $ par année d’internement, ou les plafonds que je mets, ou les niveaux que je mets, vous savez que, quand on fait du chiffrage, il y a toujours un peu d’arbitraire.
Je comprends par ailleurs qu’il y a une chose qu’il faut accepter aussi, c’est qu’à partir du moment où on parle d’indemnisation de masse… Et on est dans une dynamique qui est très différente de celle du recours aux tribunaux, où différents facteurs peuvent entrer en ligne de compte qui font que les indemnités sont soit grosses ou trop petites. On est dans un domaine qui est basé non plus sur le conflit, la contradiction, mais sur l’acception d’une réalité.
Donc, je ne pourrais pas dire que mon approche est très scientifique, mais, à tout le moins, je présentais ce scénario comme étant une base de discussion, sachant que ce n’est pas le Protecteur qui va effectuer les règlements. C’était comme base de discussion dans l’éventualité de la création d’un comité qui pourrait, à partir de ça, discuter, négocier. Ça n’a pas plus de valeur que ça, mais c’est strictement sous cet angle-là que ça a été fait.
Le Président (M. Paquin): Vous vouliez intervenir?
Une voix: Non, ça va.
Le Président (M. Paquin): Ça va?
M. Jutras: Alors, bien, je vous remercie pour cette réponse-là. Est-ce que, M. le Président, je peux poser ma question immédiatement sans trop de préambule?
Bon, vous dites qu’il y a une… en tout cas, on ne parle pas de responsabilité, on ne parle pas de faute, mais vous impliquez dans votre rapport l’État, vous impliquez les communautés religieuses et vous impliquez le corps médical.
Au niveau de l’État et des communautés religieuses, je vous suis assez bien. Là où ça m’apparaît plus problématique, c’est au niveau du corps médical parce que… et là vous ne les avez pas rencontrés, et je comprends pourquoi, vous nous avez donné la réponse tantôt c’était une de mes questions. Mais, au niveau de la responsabilité du corps médical, c’est parce qu’ils m’apparaissent, eux, les médecins, ou le Collège de médecins, avoir plusieurs arguments. Ils peuvent dire: Bien, écoutez, c’était l’état de l’avancement de la science à cette époque-là c’est discutable, on voit que déjà, là, il y a certains auteurs qui disent que la psychiatrie était quand même plus avancée. Mais ce qui m’a frappé en lisant ça, c’est de constater qu’en 1950 il y a juste 15 psychiatres au Québec. Ça montre, en tout cas, que la psychiatrie était loin d’être ce qu’elle est aujourd’hui.
Donc, ils peuvent dire: Bien, la psychiatrie était ce qu’elle était à l’époque, plus ou moins avancée donc, ils ont agi selon les règles de l’art de l’époque comme ils peuvent dire: Elle était plus avancée, mais pourquoi le corps médical, aujourd’hui, pourquoi la Corporation des médecins paierait pour de mauvais diagnostics posés par certains médecins? Dire: Bien, il y a une responsabilité de ces médecins-là, mais à quel point la Corporation professionnelle des médecins est responsable pour de mauvais diagnostics posés par des médecins de l’époque?
Et ça, là, je pense qu’on va avoir de la difficulté à aller les rejoindre, les médecins, sur cette question-là. À ma connaissance ils n’ont pas réagi, à date, à votre rapport, hein? Ils n’ont pas fait de déclaration publique?
M. Jacoby (Daniel): Non, pas à ma connaissance.
M. Jutras: Non. Alors, qu’est-ce que vous dites là-dessus?
M. Jacoby (Daniel): Bien, là-dessus, je dirais qu’il y a différents ordres de problématique à l’égard des médecins. Toute la question est de savoir si les sciences étaient suffisamment précises pour distinguer, notamment, la maladie mentale de la déficience intellectuelle. Il y a deux écoles. Mais vous savez que, dans les sciences, il y a toujours au moins deux écoles. Mais il est certain qu’il y en a, d’un côté, qui prétendent que ce n’était pas avancé, puis d’autres qui ont écrit que, dans les années cinquante, c’était suffisamment avancé.
Il y a aussi le fait que, dans toute cette affaire-là, il ne faut pas oublier une chose: même si ce fût sur l’insistance pour ne pas dire… je n’ai pas d’autre mot à ce stade-ci du gouvernement provincial d’accepter, notamment dans l’affaire du Mont-Providence, de changer la vocation, il a fallu, dans le cadre de cet événement-là, que des médecins acceptent, entre guillemets, de jouer le jeu. Et je ne mets pas en doute… Peut-être qu’à l’époque on a dit que c’était peut-être la meilleure chose à faire dans les circonstances. Mais le résultat net, c’est qu’il y a eu une intervention aussi de la part de certains psychiatres dans l’opération et que, bon… et je ne veux pas ramener ça sous l’angle de la responsabilité. Je dirais que… Vous savez, au Québec, nos corporations professionnelles sont aujourd’hui, et particulièrement depuis le Code des professions, considérées à toutes fins pratiques comme des services publics. Dans d’autres pays, ils sont véritablement des services publics. Et, moi, je crois beaucoup à la continuité des institutions, autant à la continuité des institutions de l’État, quels que soient les gouvernements en place; des administrations, quels que soient les administrateurs; des autorités dans une société, comme les autorités ecclésiastiques, qui héritent aussi d’un passé… Et, de la même manière, les ordres professionnels, qui, on le sait, au Québec, non seulement ont un statut légal très élevé, et à juste titre, mais aussi faisaient partie, à l’époque…
On consultait qui? À l’époque, on disait toujours: On va consulter le médecin de famille, on va consulter le curé, et ainsi de suite, et ça faisait partie de notre époque. Moi, je mets ça sous l’angle de… Je ne vais pas plus loin qu’une responsabilité morale et je ne voudrais pas aller jusqu’à une responsabilité légale. Je dis qu’il y a certainement une responsabilité morale parce qu’il y a des gestes qui ont été posés, peut-être parfois par ignorance, mais aussi en connaissance de cause. À tout le moins, là-dessus, pour moi, j’y vois un élément de responsabilité morale, mais pas plus que ça.
M. Jutras: Merci.
Le Président (M. Paquin): Ça va? Alors, M. le député de Chomedey, il reste 6 min 10 s à l’opposition.
M. Mulcair: Merci, M. le Président. Alors, je souhaite la bienvenue à Me Jacoby et aux gens qui l’accompagnent. Je vais enchaîner sur la question de mon collègue le député de Drummond, parce que je pense qu’effectivement, par les questions qui ont été posées aujourd’hui, c’est une des choses avec lesquelles il va falloir transiger si on veut date butoir ou autrement arriver à un règlement dans ce dossier.
C’est la question, justement, de par manque d’un meilleur terme la gestion de la preuve. Parce que, même si on dit qu’on déjudiciarise, qu’on ne regarde pas nécessairement les questions de faute… Puis, je me permets une petite parenthèse, avec votre explication de tantôt, pas de faute, etc., la partie sur l’opportunité des excuses devient un peu plus difficile à suivre. Mais, je ne veux pas qu’on passe trop de temps là-dessus maintenant, parce qu’il y a cette question de…
La réalité prouvable et objective que vous avez évoquée tantôt, Me Jacoby: les faux diagnostics et on regarde le contexte historique les lettres qui ont été écrites dans les années 1953, 1954, au niveau fédéral, disant qu’on ne donnait plus l’argent pour ce qui était devenu un établissement d’enseignement; le fait que le fédéral subventionnait toujours dans les cas de santé; le fait que, tout d’un coup, on émettait des certificats médicaux pour des gens qui étaient, de toute évidence, pas du tout des gens qui souffraient de quelque débilité mentale, mais on leur donnait cette classification-là pour pouvoir continuer à avoir des subventions ça, c’est un fait, à mon sens, prouvable, selon tout ce dont on dispose dans le dossier, bien que je demeure sensible aux arguments de mon collègue le député de l’Acadie, à l’effet que idéalement il faut toujours avoir les deux côtés…
Mais il y a un glissement, lorsqu’on parle de faits prouvables, objectifs et relativement facilement prouvables comme ceux-là, vers des choses qui, à mon sens, vont être archi-difficiles à prouver et on en a parlé un peu tantôt avec M. Roy, vous étiez là ce sont les autres aspects du dossier. Comment, donc, à partir de ces faits-là, concrets, et dans une structure comme celle-là, prouver, même si c’est juste par le biais d’un affidavit mais, à ce moment-là, je pense qu’on ouvre la porte toute grande à des abus ou, au moins, à des problèmes très sérieux de gestion de la preuve et de ces sommes-là…
Je ne suis pas encore convaincu qu’on a la solution facile. Quand j’entends le critère de preuve de M. Roy, quand je regarde le vôtre, je ne suis pas sûr que c’est faisable sur le plan terre à terre, là, très concret. J’aimerais savoir peut-être avec les interventions d’aujourd’hui, votre propre réflexion si vous croyez qu’il ne va pas y avoir des problèmes énormes d’apprécier, admettons, là, les allégations d’abus sexuels ou autres, dans certains cas. Comment savoir si l’un est vrai et l’autre pas, sur le plan vraiment simplement concret? J’ai de la difficulté à voir comment on va faire ça.
Le Président (M. Paquin): En trois minutes, s’il vous plaît.
M. Jacoby (Daniel): En trois minutes. La première minute. Vous avez raison de dire qu’une des grandes problématiques sera l’administration de la preuve et la recevabilité des éléments de preuve. Mais, au départ, il faut dire qu’on va tenter d’identifier l’acte préjudiciable sans le relier à des personnes, à partir du moment où on ne parle pas de responsabilité d’une personne ou d’une autre.
(11 h 50)
Deuxièmement, je pense qu’on ne va pas réinventer la roue. Ce qui s’est fait dans les autres provinces canadiennes, quand il y a eu des programmes un peu similaires, c’est qu’on s’est basé… Le régime de preuve était un régime très souple, et je pense qu’il y aurait intérêt à regarder exactement ce qui s’est fait, dans le détail, au niveau de la recevabilité des preuves. Ce que je dis, c’est qu’il faut éviter de tomber dans les excès ou les abus en acceptant un régime de preuve qui soit rempli de trous et qui permette à des personnes d’être indemnisées alors qu’elles n’auraient pas dû l’être.
Mais aussi, je suis convaincu qu’il existe quand même au Québec énormément de documentation qui peut aider les personnes qui vont décider des indemnités et des réclamations. Je pense, par exemple, à toutes les archives qui existent actuellement, ou qui sont censées exister, dans différentes congrégations religieuses. Bon, ces archives existent. Elles ne sont pas nécessairement publiques, et je dis bien dans mon rapport qu’il faudra la collaboration des congrégations religieuses pour permettre l’utilisation de ces archives. Dans ces archives, on va retrouver beaucoup d’éléments dans les dossiers, y compris toute la question médicale. On est censé retrouver ça. Je ne dis pas qu’on va retrouver tout, mais je pense qu’il y a une bonne partie de la preuve qui pourra être documentaire, dans la mesure où les autorités acceptent de mettre à la disposition du comité, enfin de ceux qui auront à proposer puis d’appliquer le programme, énormément de preuves documentaires. Bon.
Deuxièmement, je pense que, aussi… Même si le Comité des orphelins de Duplessis n’y prête beaucoup confiance, il y a quand même tous les dossiers qui ont été montés dans le cadre des enquêtes criminelles. Bien sûr, ça ne couvre pas tout le monde, mais ces dossiers devraient aussi pouvoir servir, le cas échéant, pour identifier des actes préjudiciables, non pas pour identifier des responsables. Je pense également qu’il y a énormément de documentation à travers ce qui a pu être écrit depuis les années cinquante et qu’on peut utiliser.
Évidemment, ça ne réglera pas le problème de la preuve. On aura probablement des situations de zones grises. La question sera de savoir comment le comité envisagera les zones grises?
Est-ce qu’il va donner le bénéfice du doute? Est-ce que le comité va proposer une attitude extrêmement restrictive, en disant qu’il faut pratiquement la preuve prépondérante que l’on connaît devant les tribunaux civils ou administratifs? Ou est-ce qu’on va accepter un simple affidavit? Moi, je dirais qu’un affidavit ça serait l’ultime recours, dans la mesure où cet affidavit ne serait pas lui-même critiquable à cause d’autres éléments qu’on peut retrouver dans les archives et qui mettraient en doute, par exemple… Il faut penser aussi qu’il y a beaucoup… Les questions de mémoire, le temps qui joue beaucoup. Une personne peut très bien dire: Moi, je suis…
Le Président (M. Paquin): Oui, le temps joue beaucoup.
Des voix: Ha, ha, ha!
Le Président (M. Paquin): Alors, il reste 6 min 40 s à la formation qui forme le gouvernement. La député de La Prairie, le député de Gaspé. Alors, s’il vous plaît.
Mme Simard: Merci, M. le Président. Bonjour, M. Jacoby et les gens qui vous accompagnent. Dans vos recommandations, vous faites référence à un comité. À la recommandation 3, c’est le comité qui déterminerait un certain nombre d’indemnités. Le comité devrait négocier, recommandation 10. Recommandation 11, le comité… Je voudrais d’abord savoir comment vous voyez la composition de ce comité. Un petit peu plus tôt, je sais que vous avez entendu le Comité des orphelins de Duplessis, lui, définir un peu qui il pouvait voir dans la composition d’un comité qui éventuellement entendrait différents cas. D’abord, est-ce que vous êtes d’accord un peu avec leur suggestion?
Et, d’autre part, dans les recommandations qui nous ont été représentées ce matin par les gens qui vous ont précédé, il y a une implication, à la recommandation 10, que les gouvernements provincial et fédéral sont visés. Dans leur intention, le gouvernement fédéral doit aussi être interpellé. Alors, je voudrais vous entendre sur cette question-là. Les communautés religieuses, on en a parlé; les médecins aussi. Mais sur le gouvernement fédéral.
M. Jacoby (Daniel): Oui. Alors, sur le premier point, la question de la composition du comité qui aura à négocier, discuter et proposer les grandes lignes d’un programme d’indemnisation, je vois évidemment les autorités gouvernementales, les autorités religieuses, les autorités médicales de même que, évidemment, les représentants des enfants de Duplessis. Et, comme représentants des enfants de Duplessis, il est évident qu’il faut essayer d’équilibrer ce comité-là. Je pense qu’il pourrait y avoir des représentants de différents ONG qui s’occupent des enfants de Duplessis de même que des institutions, tels le Curateur public ou l’Office des personnes handicapées, qui pourraient être des membres de ce comité multipartite.
Bon, alors, il s’agit d’assurer un équilibre. Parce que, comme le notait à juste titre M. Roy ce matin, il ne faudrait pas que, dès le départ, on se trouve dans une situation où il n’y aura pas d’ouverture possible étant donné les parties concernées et leur nombre sur le comité. C’est une question d’équilibre.
La deuxième question, la question du gouvernement fédéral; je n’ai pas, à ma connaissance en tout cas, vu que, dans les… Mais c’est possible parce qu’il y a des choses qui ne se disent pas, j’imagine, dans les documents des commissions d’enquête. Il est possible dans certains cas que les gouvernements provinciaux aient négocié aussi avec le gouvernement fédéral, mais je ne suis pas en mesure de le dire. Sauf que je dirais, par exemple, que, dans les provinces où on a eu des problèmes avec… ou quand on a mélangé des enfants dits normaux avec des délinquants, bien au fédéral il y a la Loi sur les jeunes délinquants il est possible qu’il y ait eu des discussions ou même des règlements de cette façon-là, mais je ne peux pas l’affirmer.
Puis aussi la question, c’est que, bien sûr, les années 1954 ont été, en partie en tout cas, un problème par rapport au… à cause du conflit fédéral-provincial. Moi, je ne suis pas en mesure vous savez, il faudrait que j’y réfléchisse un peu de dire: Oui, il faut aller au fédéral. Je pense qu’il faut y réfléchir et monter un dossier, se dire quelles sont les poignées qu’on peut avoir dans le dossier pour demander au gouvernement fédéral de contribuer, sachant que le gouvernement fédéral est intervenu dans plusieurs dossiers. Le cas des Japonais, le cas du Memorial à Montréal, et d’autres dossiers, il est intervenu. Alors, je ne suis pas en mesure de répondre à cette question, mais je dis: Il faut l’explorer; ça, c’est sûr.
Le Président (M. Paquin): Alors, en deux minutes, le député de Gaspé.
M. Lelièvre: Merci, M. le Président. M. Jacoby, dans votre rapport, vous posez comme préalable qu’il y ait une reconnaissance des responsabilités, à mon avis, soit par forme d’excuses… D’autre part, vous dites, à la page 24, que le recours aux tribunaux, avec les problèmes que l’on rencontre au niveau des règles de preuve, de la prescription, constitue un obstacle insurmontable. Par ailleurs, à la page 58, lorsqu’on parle du régime d’indemnisation, vous parlez d’une adhésion volontaire tout en conservant ses recours. Alors, là, j’essaie de comprendre.
D’une part, s’il y a des problèmes de preuve, de prescription, donc ça prend une reconnaissance de responsabilité, d’interruption de la prescription, que la prescription recommence à courir, et, par la suite, il faut que chacune des parties à qui on impute une responsabilité dans les rapports la reconnaisse, cette responsabilité-là pour avoir un point de départ dans le temps. Donc, comment qu’on peut mettre ça en opération s’il n’y a pas cette reconnaissance de responsabilité? Est-ce que c’est par le biais du comité de soutien, qui, lui, pourrait commencer à faire un travail de documentation, documenter chacun des dossiers, préparer, en somme, les dossiers avant une présentation plus formelle quelque part. Parce que, à mon avis, les communautés religieuses ou les religieux, l’État ou les ordres professionnels ne veulent pas être les seuls individus à assumer de façon séparée… Parce qu’on ne peut pas garantir que, par exemple, un ordre professionnel va reconnaître sa responsabilité et qu’un autre va la reconnaître également, pas plus que l’une ou l’autre des congrégations religieuses ou pas plus que le gouvernement.
(12 heures)
Donc, c’est de regarder dans l’ensemble. J’essaie de voie une mécanique qui ferait en sorte que, si on ne remet pas en question les faits allégués par ces gens, bien, à ce moment-là, on a un point de départ. Maintenant, il reste à faire la preuve, monter le dossier. Et j’essaie de voir, dans toute la dynamique des rapports qu’on a, comment on peut mettre ça en opération? C’est très compliqué, parce que mon voisin ou ma voisine dira: Je ne suis pas responsable de cela seul, mais…
Le Président (M. Paquin): Ce qui est encore plus compliqué, c’est que le temps est épuisé. Donc, peut-être 30 secondes de commentaire.
M. Lelièvre: Merci, M. le Président. J’aurais beaucoup d’autres points, j’aimerais avoir votre interprétation sur cet élément-là qui m’apparaît fondamental.
M. Jacoby (Daniel): Dans le rapport, la responsabilité, c’est par rapport à la reconnaissance que des événements ont eu lieu et qu’il y a des séquelles à ça. Il ne s’agit pas de relier la responsabilité à des cas particuliers. La responsabilité, finalement, c’est d’accepter de contribuer financièrement à un règlement. Pas plus que ça. Je pense que tout ce qui doit être fait sur le plan de chacun des dossiers, c’est sûr que ce n’est nécessairement pas le comité qui va faire ça. Il va falloir une organisation, dont le comité de soutien dont on parle, pour pouvoir monter des dossiers.
Le Président (M. Paquin): Mme Assayag, Mme Lavoie, M. Wentser, M. Jacoby, nous vous remercions.
Je constate que nous avons dû écourter la période que nous avions prévu consacrer à des échanges avec le Protecteur du citoyen. Mais je pense qu’il était fondamental que nous prenions tout le temps pour bénéficier du témoignage du Comité des orphelins et orphelines institutionnalisés de Duplessis.
Alors, suite, donc, à des propos qui ont été complexes, riches, intéressants, la commission, dans un moment ultérieur, se réunira en commission de travail et verra quelles suites elle apportera aux données que nous avons colligées aujourd’hui et qui sont fort substantielles.
Au demeurant, je voudrais remercier tout le monde de leur collaboration, de leur participation et, puisque nous avons complété notre mandat, j’ajourne la commission sine die.