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Les prêtres ne pourront plus être seuls avec des enfants

L’archevêque de Montréal veut prévenir de nouveaux scandales sexuels au sein de son Église

Mgr Christian Lépine
Photo Le Journal de Montréal, Pierre-Paul Poulin L’archevêque de Montréal, Mgr Lépine, tient mordicus à ce que tous les membres de son clergé ne soient plus jamais seuls avec des enfants.

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Dès l’automne, les prêtres d’une dizaine de paroisses de Montréal ne pourront plus se retrouver seuls avec des enfants, une directive qui vise à mettre fin aux scandales de pédophilie qui entachent l’Église au Québec.

«Il faut que les prédateurs sachent qu’ils n’ont pas leur place (dans l’Église). Ils doivent savoir que s’ils se font prendre, c’est fini pour eux. Si tu veux commettre des agressions, ne deviens pas prêtre», a affirmé l’archevêque de Montréal, Mgr Christian Lépine, dans une entrevue exclusive accordée au Journal.

Bien décidé à envoyer un «message clair» à ses troupes, ce dernier lance un plan d’action afin de créer un «environnement sécuritaire» dans les églises de Montréal, et il espère que cette initiative sera imitée dans l’ensemble du Québec.

Les agressions sexuelles commises au sein de l’Église, dit-il, sont une «tragédie innommable».

«Mais l’Église a cheminé. À une certaine époque, on pensait que ça n’existait pas. À une autre, on pensait que c’était guérissable et on faisait faire une séance de thérapie aux prêtres avant de les renvoyer dans leur ministère. Aujourd’hui, on sait que ça existe et que l’on doit agir», affirme Mgr Lépine.

Jamais seul

Ce «filet de sûreté» entrera en vigueur dans 10 paroisses à titre de projet-pilote cet automne et pourrait ensuite être étendu aux 184 autres lieux de culte montréalais. Les prêtres et employés recevront des formations pour leur montrer comment agir afin de ne jamais être seuls en présence d’enfants.

«Il faut diminuer les risques qu’il y ait une agression. Un adulte ne doit jamais être seul avec un enfant. Je dis peut-être ça naïvement, mais surtout dans le cas d’un prêtre», lance Mgr Lépine.

«Si on le veut bien, on n’est jamais seul avec des enfants. De toute ma vie de prêtre, ça ne m’est jamais arrivé. Même dans les cérémonies, comme le sacrement du pardon, où en principe il y a rencontre entre le prêtre et l’enfant, ça doit se faire en présence des parents», dit-il.

Selon l’archevêque, cette consigne est déjà appliquée de manière «inégale» dans la plupart des paroisses, mais elle doit être «renforcée», juge-t-il.

Exploitation des aînés

Les abus de confiance ne touchant pas que les enfants, Mgr Lépine veut également instaurer une règle ferme concernant les personnes âgées ou vulnérables. Aucun cadeau personnel ne peut désormais être accepté par un prêtre ou un employé d’une église.

«Notre prise de conscience sur la pédophilie s’est élargie aux gens vulnérables. Tu vas visiter une personne malade, c’est bien. Mais quelqu’un pourrait être tenté théoriquement de recevoir des cadeaux ou de lui soutirer de l’argent.»

«Ça n’a jamais été acceptable comme pratique, mais on veut s’assurer que ça ne se fera pas», dit Mgr Lépine, qui croit qu’il ne s’agit toutefois pas d’une «grande problématique» à l’heure actuelle.

En envoyant un message à ses prêtres, l’archevêque espère en envoyer un aussi à leurs victimes.

«L’Église a évolué. On le sait maintenant que quand quelqu’un nous contacte, ses allégations doivent être prises au sérieux. Ça double la douleur lorsque quelqu’un n’est pas cru.»

 

Le diocèse de Montréal

Mgr Christian Lépine
Photo d'archives

Mgr Lépine est le dixième évêque et le huitième archevêque de Montréal, depuis la fondation du diocèse en 1836.

Le diocèse couvre un territoire de 947 km2 qui comprend environ 1,7 million de catholiques.

  • 194 paroisses
  • 10 chapelles ou oratoires
  • 407 prêtres
  • 3438 frères et sœurs dans des communautés religieuses
  • 130 agents de pastorale
  • 88 diacres permanents

Source: Diocèse de Montréal

 

Agressée sexuellement par un prêtre à 8 ans

Margot Bussière ne s’est jamais totalement remise de l’agression sexuelle qu’elle affirme avoir subie de la part d’un prêtre à l’âge de 8 ans.
Photo Le Journal de Montréal, Ben Pelosse
Margot Bussière ne s’est jamais totalement remise de l’agression sexuelle qu’elle affirme avoir subie de la part d’un prêtre à l’âge de 8 ans.

Margot Bussière affirme avoir été agressée sexuellement avec sa sœur par deux prêtres à Rigaud, alors qu’elle n’avait que 8 ans. Elle n’a jamais pu obtenir justice contre ses agresseurs et craint que «l’Église fasse toujours des victimes

«Nous n’étions que deux petites filles de 8 et 9 ans qui traversaient la maison pour aller chercher leur vélo. Les deux prêtres étaient assis dans le salon. Ils étaient venus voir mon père. Ils nous ont pris par le bras et nous ont assis sur eux. En moins de trois secondes, ils avaient la main dans nos culottes», raconte l’artiste-peintre de 61 ans.

Ce n’est qu’au bout d’une dizaine de minutes que les deux fillettes ont pu s’extirper des bras de leurs agresseurs pour se sauver, selon Mme Bussière.

«Nos sexes étaient irrités. On est allées chercher nos vélos et nous n’en avons plus reparlé. Du moins, pas avant plusieurs années.»

Vivre dans le silence

Margot Bussière n’a jamais parlé de cet incident à sa famille. Sa mère, se doutant de quelque chose, aurait fermé les yeux. Selon Mme Bussière, la congrégation religieuse à laquelle appartenaient les deux prêtres aurait été un client important de l’entreprise familiale.

À 15 ans, Margot quitte le milieu familial définitivement.

La femme, qui est aujourd’hui mère de sept enfants, s’est mariée quatre fois et a vécu dans plusieurs pays avant de revenir s’installer à Montréal, en 1991.

«Certains de mes enfants approchaient de leur première communion. J’ai refusé qu’ils suivent des cours avec un prêtre. Je leur ai alors expliqué ce qui m’était arrivé. C’était la première fois que je sortais du silence dans lequel je vivais.»

« Pas de justice »

En 2010, Mme Bussière se joint à l’Association des victimes de prêtres. En fouillant dans les archives de la congrégation, elle retrouve des images des deux prêtres qui les auraient agressées, sa sœur et elle, et réussit à les identifier.

«Mais il était trop tard pour la justice. Je ne pouvais pas déposer une plainte au criminel, puisque les deux agresseurs étaient décédés. Et il était trop tard pour une poursuite civile en raison du délai de prescription de trois ans imposé par notre système de justice. Il aurait fallu que je fasse des démarches trois ans après l’agression, à l’âge de 11 ans», s’indigne-t-elle.

La mère de famille craint que des «hommes d’Église» s’en prennent toujours à des enfants, même s’ils sont «plus surveillés qu’avant».

«J’aimerais que l’Église au Québec s’excuse auprès des victimes. Qu’elle les encourage à sortir du garde-robe. Ma sœur, qui souffre de schizophrénie, est restée profondément marquée par l’agression et en a souffert toute sa vie», lance Mme Bussière.

«J’ai longtemps été une petite fille de 8 ans qui se cachait de tout le monde. Presque toute ma vie, en fait. Je vois un agresseur sexuel potentiel en chaque homme. On le voit encore dans mes yeux aujourd’hui que je suis une victime. Je n’en sors pas.»

 

Un autre prédateur dans l’église montréalaise ?

Le diocèse de Montréal est aux prises actuellement avec un autre cas possible de prêtre pédophile, a confirmé au Journal Mgr Lépine. «Il y a un cas, mais je ne peux pas donner de détails. Depuis quatre ans, c’est la seule plainte qui s’est avérée sérieuse», dit-il.

 

Un pédophile payé à vie

Condamné à six mois de prison avec sursis en 2008 pour avoir caressé les seins et la vulve d’une fillette de 8 ans, l’abbé Philippe de Maupeou reçoit toujours de l’argent du diocèse de Montréal. «C’est une question plus large qui concerne autant la société que l’Église. Une fois qu’un prêtre a été reconnu coupable, qu’est-ce qu’on fait? Si la personne est dans la misère, des récidives deviennent possibles. Dans ce cas-là (M. de Maupeou), notre comité aviseur a décidé de le soutenir financièrement jusqu’à la fin de ses jours», a expliqué Mgr Lépine.